Commentaires sur la décision de la Cour Suprême du Canada sur la question de l’aide médicale à mourir

  • 09 février 2015
  • Me Mylène Beaupré, présidente de la section droit de la Santé de l'ABC-Québec

Le 6 février 2015, la Cour Suprême du Canada (ci-après : « la Cour »), dans un jugement unanime et historique, déclarait, dans l’affaire Carter[1], que les articles 241b) et 14 du Code criminel[2] portent atteinte de manière injustifiée à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après : « la Charte ») et qu’ils sont donc inopérants, dans la mesure où ils prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. 
 
La Cour a suspendu la prise d’effet de cette déclaration d’invalidité pour douze (12) mois, afin de permettre au parlement canadien et aux législatures provinciales qui choisissent de le faire d’adopter une loi compatible avec les principes du jugement.
 
Ainsi, au Canada, en certaines circonstances, une personne majeure et apte peut désormais solliciter l’aide d’un médecin pour mourir sans que lui-même ni son médecin ne s’expose à des poursuites criminelles.
 
Jusque là, tel que l’a décrit la Cour :
 
« Au Canada, le fait d’aider une personne à mettre fin à ses jours constitue un crime. Par conséquent, les personnes gravement et irrémédiablement malades ne peuvent demander l’aide d’un médecin pour mourir et peuvent être condamnées à une vie de souffrances aiguës et intolérables. Devant une telle perspective, deux solutions s’offrent à elles: soit mettre fin prématurément à leurs jours, souvent par des moyens violents ou dangereux, soit souffrir jusqu’à ce qu’elles meurent de causes naturelles. Le choix est cruel. »
 
Voilà le choix auquel était confrontée Gloria Taylor, dans l’affaire Carter, qui apprend, en 2009, qu’elle souffre de la sclérose latérale amyotrophique (ou SLA), une maladie neurodégénérative fatale causant un affaiblissement progressif des muscles[3]. Madame Taylor s’est adressée aux tribunaux, tout comme l’avait fait Sue Rodriguez[4] avant elle, afin qu’il lui soit permis, lorsqu’elle jugerait le moment opportun, de recevoir une aide médicale à mourir.
 
Il s’agissait donc, pour la Cour, de pondérer des valeurs opposées : d’une part : l’autonomie et la dignité d’un adulte capable qui cherche dans la mort un remède à des problèmes de santé graves et irrémédiables et d’autre part, le caractère sacré de la vie et la nécessité de protéger les personnes vulnérables. Pour le plus haut tribunal du pays, c’est le droit à l’autonomie et à la dignité de la personne majeure et apte, en ces circonstances, qui doit primer.
 
La Cour avait pourtant établi, en 1993, se penchant sur le cas Rodriguez (analogue à celui de madame Taylor[5]) que c’était plutôt le caractère sacré de la vie qui devait primer. Considérant que le principe du stare decisis « ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie », la Cour a rappelé que les juridictions inférieures pouvaient réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : 1) lorsqu’une nouvelle situation juridique se pose et lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne » et que ces deux conditions étaient réunies en l’espèce. La Cour a retenu que depuis la décision de la Cour dans l’affaire Sue Rodriguez, le cadre juridique applicable à l’article 7 de la Charte avait changé, de même que la preuve relative à la maîtrise du risque d’abus associé à l’aide au suicide.
 
Aux termes de l’art. 7 de la Charte : « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». La Cour a retenu que la prohibition de l’aide médicale à mourir que demandent des personnes majeures et aptes affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables qui leur causent des souffrances persistantes et intolérables a pour effet de porter atteinte à leurs droits conférés à l’article 7 de la Charte :
 

  • forçant certaines d’entre elles à s’enlever prématurément la vie, par crainte d’être incapables de le faire lorsque leurs souffrances deviendraient insupportables et que pour cette raison que le droit à la vie entrait en jeu;
  • les privant de la possibilité de prendre des décisions relatives à leur intégrité corporelle et aux soins médicaux, empiétant ainsi sur leur liberté et empiétant aussi sur leur sécurité, les laissant subir des souffrances intolérables.

Statuant que l’objet de la prohibition de l’aide médicale à mourir était d’empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à se suicider dans un moment de faiblesse, la Cour a établi que cette atteinte n’était pas en conformité avec les principes de justice fondamentale car sa portée était excessive.
 
La Cour a conclu que la prohibition ne se défendait pas en vertu de l’article 1 de la Charte car elle ne revêtait pas un caractère proportionnel. Bien qu’il existe un lien rationnel entre la prohibition absolue de l’aide médicale à mourir et l’objectif qui consiste à empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à s’enlever la vie dans un moment de faiblesse, il existe, selon la Cour, des moyens moins attentatoires pour atteindre l’objectif. La Cour a jugé qu’il était possible de mettre en place un régime permettant l’aide médicale à mourir, tout en prévoyant des garanties soigneusement conçues, appliquées et surveillées permettant de protéger les personnes vulnérables contre les abus et les erreurs. Selon la Cour, un tel régime comprendrait des mécanismes d’évaluation de la capacité du patient et de son caractère volontaire; de divulgation au patient de son diagnostic, de son pronostic et des soins médicaux disponibles, y compris les soins palliatifs visant à calmer ses douleurs.
 
La Cour a rejeté l’argument que si l’aide à mourir n’est pas absolument prohibée, il y a risque de dérapage vers l’euthanasie et le meurtre cautionné affirmant :
 
« Nous ne devons pas supposer à la légère qu’un tel régime fonctionnera mal, ni supposer que l’infliction d’autres sanctions pénales à ceux et celles qui enlèvent la vie d’autrui se révélera inefficace contre les abus. »
 
Le Québec a été à l’avant plan de ces questions et sa position se reflète dans la Loi concernant les soins de fin de vie (projet de loi no. 52 et ci-après : « la Loi québécoise ») qui a été adoptée par l’Assemblée Nationale en juin 2014 et dont l’entrée en vigueur (sauf certaines exceptions) est prévue pour décembre 2015.

Essentiellement, la Loi québécoise prévoit des mesures visant à améliorer la communication entre le patient et le corps médical; la reconnaissance de nouveaux soins de fin vie (dont la sédation palliative continue[6] et l’aide médicale à mourir); des balises pour établir l’aptitude du patient à consentir aux soins et le caractère libre et volontaire de sa demande et des mesures visant une connaissance et surveillance accrue des soins de fin de vie.

En vertu de la Loi québécoise, une personne majeure, apte et en fin de vie, peut, à sa demande, obtenir l’aide médicale à mourir qui est alors considérée comme un soin de fin de vie. L’aide médicale à mourir est définie à l’article 3, paragraphe 6 de la Loi québécoise comme suit :

« (…) un soin consistant en l’administration de médicaments ou de substances par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès. »

Cherchant à défendre la validité de cette loi, le Québec est d’ailleurs intervenu dans l’affaire Carter, faisant valoir que, bien que la prohibition de l’aide au suicide constituait, en principe, un exercice valide de la compétence en matière de droit criminel, selon la doctrine de l’exclusivité des compétences, la prohibition ne pouvait constitutionnellement s’appliquer à l’aide médicale à mourir, car elle touchait à l’essence même de la compétence en matière de santé conférée aux provinces[7] et qu’elle outrepassait donc la compétence législative du Parlement fédéral. Il devait être démontré par le Québec que la prohibition, dans la mesure où elle s’applique à l’aide médicale à mourir, entravait le « contenu essentiel protégé » de la compétence provinciale en matière de santé. Le Québec a plaidé que le contenu essentiel protégé était le pouvoir de la province de décider du type de soins de santé à offrir aux patients et de superviser la procédure relative au consentement requis pour ces soins.

La Cour n’a pas retenu cet argument fondé sur l’exclusivité des compétences, affirmant ne pas avoir été convaincue que la compétence provinciale en matière de santé excluait la compétence du Parlement fédéral de légiférer sur l’aide médicale à mourir.

Il est remarquable de constater que la Loi québécoise est en toute conformité avec les critères établis par la Cour Suprême du Canada permettant d’obtenir l’aide médicale à mourir. Ainsi, les conditions pour l’obtention de l’aide médicale à mourir, prévues à l’article 26 de la Loi québécoise, sont les suivantes :

  1. elle est une personne assurée au sens de la Loi sur l’assurance maladie
  2. elle est majeure et apte à consentir aux soins
  3. elle est en fin de vie
  4. elle est atteinte d’une maladie grave et incurable
  5. sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités
  6. elle éprouve des souffrances physiques et psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans les conditions qu’elle juge intolérables

Soulignons que les critères prévus par la Loi québécoise permettant l’accès à l’aide médicale à mourir sont plus restrictifs que ceux établis par la Cour : la Loi québécoise exigeant que le patient soit en fin de vie, alors que la Cour n’impose pas cette condition. Ainsi, la Loi québécoise telle que rédigée actuellement, n’aurait pas permis qu’un patient aux prises avec une maladie dégénérative fatale telle la SLA, qui n’est pas en fin de vie, reçoive l’aide médicale à mourir. La Cour Suprême va donc plus loin que ne l’avait été jusqu’à maintenant le Québec, ouvrant la porte à l’aide médicale à mourir dans des situations de fait analogues à celles de personnes majeures et aptes, qui ne sont pas nécessairement en fin de vie, mais qui sont aux prises aves des maladies dégénératives fatales telle la SLA, les faisant souffrir à un point tel que pour elles, leur vie est devenue intolérable. 

Précisons que madame Taylor ne demandait pas l’accès à l’aide médicale à mourir à tout moment, mais bien lorsque pour elle, sa situation rendrait son existence intolérable. Elle écrivait :

« [TRADUCTION]
Je ne veux pas que ma vie prenne fin violemment. (…) Je veux qu’on me reconnaisse le droit de mourir paisiblement, au moment que je choisirai, dans les bras de ma famille et de mes amis.

(…)Mais la vie m’apporte encore beaucoup de bonnes choses, comme des moments spéciaux en compagnie de ma petite‑fille et de ma famille, ce qui me procure une joie immense. Je ne gaspillerai pas le temps qui me reste à être déprimée. J’entends saisir chaque moment de bonheur que je peux encore arracher au temps qu’il me reste à vivre, dans la mesure où il s’agit d’une vie de qualité; mais je ne veux pas d’une vie sans qualité. Il viendra un moment où je saurai que c’en est assez. Je ne peux pas dire exactement quand ce moment arrivera. Ce n’est pas « quand je ne pourrai plus marcher » ou « quand je ne pourrai plus parler ». Il n’y a aucun moment déclencheur préétabli. Je sais simplement que, globalement, il viendra un moment où je pourrai dire : « ça y est, le moment est arrivé où la vie n’en vaut tout simplement plus la peine. » Quand ce moment arrivera, je veux pouvoir réunir les membres de ma famille, les informer de ma décision, leur faire dignement mes adieux et tourner définitivement la page — tant pour eux que pour moi. »

Il demeure que les contours de ce que constituent des problèmes de santé graves et irrémédiables et des souffrances persistantes rendant la vie d’une personne intolérable sont à définir, dans des circonstances autres que celles analogues à la situation de madame Taylor.

Désormais, en certaines circonstances, le recours au jeûne, tels que l’ont fait, au Québec, messieurs Corbeil (un quadriplégique dans la trentaine)[8] et Van Landschoot (un tétraplégique dans la quarantaine)[9], n’est possiblement plus l’un des seuls remèdes que la personne majeure et apte puisse envisager afin de mettre fin à des souffrances devenues pour elle intolérables. 

[1] Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5

[2] L.R.C. 1985, c. C‑46
[3] Les patients atteints de la SLA perdent tout d’abord la capacité d’utiliser leurs mains et leurs pieds, puis celle de marcher, de mastiquer, d’avaler, de parler et, finalement, de respirer.
[4] Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519
[5] Le cas de Sue Rodriguez était analogue à celui de madame Taylor eu égard à son état de santé, elle-même souffrant de SLA et à son désir de faire appel, éventuellement à l’aide médicale à mourir.
[6] Art. 3 par 5 de la Loi québécoise : « Un soin offert dans le cadre de soins palliatifs consistant en l’administration de médicaments ou de substances à une personne en fin de vie dans le but de soulager ses souffrances en la rendant inconsciente, de façon continue, jusqu’à son décès. »
[7] Par. 92(7), (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867
[8] Manoir de la Pointe Bleue (1978) Inc. c. Corbeil, [1992] R.J.Q. 712 (C.S.)
[9] Québec (CSSS Pierre-Boucher) c. Van Landschoot, 2014 QCCS, 4284 (CanLII)

Lire une autre analyse sur le sujet par Me Pierre Deschamps, C.M., Ad. E., membre du Comité exécutif de la section de droit des Aînés : La Cour suprême du Canada et l’aide médicale à mourir