« Il paraît que plusieurs personnes ont acheté des savons de la compagnie Propre et ils ont eu des irritations graves. »
« J’ai entendu dire que des centaines de personnes ont été malades à cause des savons de la compagnie Propre. »
« Les savons étaient contaminés et plusieurs personnes disent que le président le savait… »
« Ça va sûrement sortir dans les journaux; il paraît que les dirigeants ne les retirent pas du marché parce que ça leur coûterait très cher. »
Assez de calomnies? Alors, levez le voile sur la vérité, toute la vérité. Conseiller juridique, à vous de guider vos dirigeants pour mettre les cartes sur table. Car une fois que le chat est sorti du sac, ses griffes acérées causeront de plus en plus de dommages si vous ne le rattrapez pas…
Non, le silence n’est pas d’or lorsque l’entreprise est écorchée par les suites d’une bévue, d’une erreur, d’un accident ou de tout autre incident.
C’est ce qu’ont démontré les trois experts qui ont animé la conférence Gestion de crise, communications et relations publiques organisée par la section ACCJE de l’ABC-Québec, le 4 décembre dernier à Montréal. Les présentations de Me Yves Desjardins-Siciliano, chef des services corporatifs et juridiques et secrétaire corporatif chez VIA Rail Canada Inc., de Mme Marie-Hélène Lagacé, vice-présidente chez Weber Shandwick, un cabinet de relations publiques et de M. Yves Boisvert, journaliste à La Presse ont donné lieu à des discussions fort instructives pour les quelque 60 personnes qui les ont écoutées. Me Janet Oh, avocate chez SNC-Lavalin, agissait à titre de modératrice.
Le constat rassurant qui a émergé de leurs propos: le conseiller juridique en entreprise peut être un atout lorsque vient le temps de gérer une crise… s’il est bien paré à toute éventualité et s’il agit avec promptitude.
« La première personne vers qui les dirigeants de l’entreprise se tournent lorsqu’une crise survient est le conseiller juridique », signale d’entrée de jeu Me Desjardins-Siciliano. Alors il faut être bien préparé, car il peut être plus difficile de réagir quand tout est parti », ajoute-t-il.
Qui plus est, souligne-t-il, vous ne serez probablement pas jugé à l’aune des faits présumés et/ou avérés, mais plutôt de votre réaction à la controverse. Pour que ce jugement vous soit favorable, vous devez agir en toute transparence et avec célérité, conseille Me Desjardins-Siciliano.
Trois types de calamité peuvent déclencher une crise, indique l’avocat : un accident majeur, un reportage médiatique dévastateur au sujet d’une action ou d’un événement impliquant l’entreprise et celle qui provient des médias sociaux, générée par exemple par des citoyens ou des activistes qui dénoncent les actions de l’entreprise.
« Il faut convaincre les hauts dirigeants de faire des déclarations, car les dommages pour la réputation de l’entreprise seront plus grands s’ils ne disent rien, comme ils ont pour la plupart l’habitude de faire », poursuit-il.
Parler et déclarer, fort bien, mais que dire si on a très peu à dire? « Cela peut arriver, reconnaît le journaliste Yves Boisvert. Mais il vaut quand même mieux réagir tout de suite. Il faut d’abord reconnaître la faute et ensuite assurer qu’il y aura réparation ou tentative de réparation. Le temps de réaction est crucial. », explique-t-il en précisant que l’appui des hauts dirigeants – et leur volonté de dévoiler les faits - sont indispensables.
M. Boisvert a illustré ses propos à l’aide d’exemples fort révélateurs de l’efficience de cette technique. Dans la catégorie ‘Ne pas faire’, il a cité l’entreprise Montreal, Maine and Atlantic Railway et le long silence de son président après la tragédie de Lac-Mégantic. Un silence qui a profondément entaché la réputation de MMA. Dans la catégorie ‘Exemple à suivre’, il a rappelé la crise qui a frappé Maple Leaf en 2008, suivant les décès causés par de la viande contaminée par la listériose. Le grand patron de l’entreprise avait réagi promptement et en toute transparence et humanité, ce qui lui avait valu des commentaires favorables dans les médias et le grand public.
Et si l’on est muselé?
Comment le conseiller juridique peut-il dépêtrer son entreprise du bourbier dans lequel elle s’enfonce s’il a les mains liées parce que la dégringolade des actions pousse les hauts dirigeants au silence? C’est ce qu’a demandé un membre de l’auditoire.
« Malgré cela, il ne faut pas attendre pour parler, répond Mme Marie-Hélène Lagacé, vice-présidente chez Weber Shadwick. Ça finira par sortir dans les médias de toute façon. Car l’opinion publique est liée à l’éventualité d’un procès… »
Une auditrice a soulevé l’exemple d’un autre type de situation où le conseiller juridique est contraint d’imposer le silence : doit-on répondre aux journalistes qui s’enquièrent des circonstances du décès mystérieux d’un patient dans un établissement de santé?
« Quand les porte-parole n’ont pas le droit de parler, les journalistes comprennent et n’insistent pas. Mais il y a une façon de refuser de répondre aux questions : il ne faut pas se sauver en courant! », répond M. Boisvert.
Mme Lagacé renchérit en précisant que la réponse appropriée est celle qui mentionne à quelle question précise on ne peut répondre et pourquoi l’on doit taire cette réponse.
Les réseaux sociaux; des alliés?
Si ‘l’ennemi’ qui salira votre entreprise peut être tapi dans l’anonymat des réseaux sociaux, cette tribune peut également s’avérer votre planche de salut lorsque survient la crise. Pour que ce soit le cas, il faut évidemment assurer une présence de l’entreprise dans ces réseaux. Me Desjardins-Siciliano suggère que la tâche de veille des réseaux sociaux soit attribuée à un employé.
« Quand une crise survient, les personnes qui vous suivent dans les réseaux sociaux sont les plus aptes à vous défendre. Ce sont même souvent eux qui arrêtent la tempête. Mais bien entendu, il faut être présent et entretenir nos réseaux sociaux », souligne Mme Lagacé.
Vos employés à la rescousse!
La nécessité de parler plutôt que de se taire s’applique d’abord et avant tout au sein même de l’entreprise, selon Mme Lagacé. « Les employés sont en quelque sorte les ambassadeurs de l’entreprise », signale-t-elle. Il faut leur fournir un portrait clair et complet de la situation. Car s’ils ne détiennent que des bribes d’informations, qu’ils ébruitent ensuite hors les murs de l’entreprise, la réalité pourrait être déformée…
Alors, avant que la machine à rumeurs s’emballe, conseiller juridique, stoppez les moteurs et ouvrez les vannes des déclarations publiques…