Le compromis qui a fait fondre une portion importante de la lourde dette que traînait la compagnie Yellow Media a provoqué des levées de boucliers chez ses prêteurs, parmi lesquels se trouvait un syndicat bancaire regroupant les principales banques canadiennes. Il faut dire qu’elle a pris un chemin peu emprunté pour y arriver : le plan fut présenté sous l'égide de la section 192 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) - une loi corporative qui prévoit un processus d'arrangement, mais qui n'est pas une loi d'insolvabilité à proprement parler.
Les dissensions ont mené à un procès d'une dizaine de jours, dont l’issue fut un règlement entre les parties pendant que la cause était en délibéré; aucune décision ne fut donc rendue par l'Honorable Robert Mongeon, J.c.s.
Quelle lecture peut-on faire de ce cas de restructuration? Même s’il existe des précédents d'arrangements assortis d’un compromis de dette en vertu d'un plan présenté sous l'article 192 LCSA (Abitibi Bowater, Mega Brand par exemple), ils sont peu nombreux. Ce cas en entraînera-t-il d’autres dans sa foulée? Comment déterminer les solutions les plus pertinentes dans le cadre d’une restructuration d’entreprise?
Des avocats provenant de deux bureaux qui s’opposaient dans cette affaire, Me Jean Fontaine, Associé chez Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L. s.r.l. et Me Max Mendelsohn, Associé chez McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. répondront à ces questions après avoir décortiqué le ‘cas Yellow Media’, dans le cadre d’une conférence organisée par notre section de droit en Faillite et insolvabilité. Elle aura lieu le 27 novembre prochain.
La voie communément suivie pour rescaper une entreprise qui ploie sous sa dette est généralement le dépôt d'un avis d’intention suivi d'une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI), ou dans certains cas, le dépôt de procédures menant à un plan d’arrangement adopté en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).
Dans le cas de Yellow Media, explique Me Joseph Reynaud, de Stikeman Elliott, un des organisateurs de la conférence, on a opté pour un plan d'arrangement en vertu de l’article 192 LCSA. Celui-ci a été accepté par la majorité des créanciers de l'entreprise et il prévoyait l'échange de la totalité de la dette (qui se chiffrait approximativement à 2 milliards $) contre l'équité d'une nouvelle entité qui détiendrait les actifs, une nouvelle dette substantiellement amoindrie et un paiement en espèce. Contrairement à une restructuration typique effectuée sous l'égide de la LFI ou de la LACC, cette restructuration n'a touché que la dette financière et l’entreprise n'a pas sabré dans ses opérations, fermé ses usines ou encore résilié ses contrats.
Ce plan a soulevé la grogne au sein d’un syndicat de prêteurs regroupant toutes les principales banques canadiennes. Il a tout de même fini par être approuvé, mais une contestation au moment de son homologation en cour a forcé la tenue d’un procès. Les parties sont finalement parvenues à un règlement sept semaines plus tard.
La page est tournée, mais on ne peut pas fermer le livre. Des questions subsistent, et il faut en trouver les réponses: une entreprise insolvable peut-elle se prévaloir de l'arrangement sous 192 LCSA? Le tribunal a-t-il le pouvoir d’ordonner un sursis de procédure? Peut-on permettre le compromis d'une dette bancaire constatée par une convention de crédit en vertu de l’article 192? Comment s’assurer qu’un arrangement est proposé en toute bonne foi, mais surtout, qu’il est juste et équitable?
Autant de questions brûlantes qui méritent que tous les juristes s’y attardent… et il en est de même pour toutes les autres zones grises de cet enjeu majeur en faillite et en insolvabilité.