De ses yeux déjà séduits, elle dévore les œuvres d’art pictural, d’un musée à l’autre. Mais son émoi devant la création transcende l’attrait de la beauté. Il se mue en admiration face aux créateurs et aux inventeurs, ainsi qu’à leurs idées. Si forte que la jeune femme de sciences a abandonné, il y a plus de 30 ans, le métier d’ingénieur pour embrasser le droit et transposer ses égards pour les créateurs à la défense de leurs idées. Et lorsque leur créativité triomphe, l’avocate spécialiste de la propriété intellectuelle jubile. De l’univers scientifique, elle a atterri sur une autre planète, dit-elle. Elle compte bien y prendre sous l’aile de la justice une pléthore d’autres entrepreneurs, inventeurs et artistes.
Récit du parcours de la présidente de la section de droit de l’information, des télécommunications et de la propriété intellectuelle, Me Marie Laure Leclercq, avocate chez De Grandpré Chait.
Au bout du fil, la voix est posée, le ton émaillé de notes réconfortantes, les mots sont choisis avec justesse, portés par des phrases adroitement prononcées et bellement enrobées de l’accent français (ses parents sont d’origine française). Les propos de Me Marie Laure Leclercq racontent le chemin semé d’un grand détour impromptu, somme toute épargné par les écueils, et parsemé des soubresauts de l’évolution des technologies, porteuses de bien et de maux pour les créateurs.
« Pour moi, le droit a été une révélation parce que je venais d’un monde scientifique, où la façon de penser est différente de celle des juristes. En génie, on est à la recherche de LA vérité, alors qu’en droit, il y a toujours au moins deux vérités… Quand j’ai commencé en droit, c’était comme si je débarquais sur une autre planète. Je suis tombée en amour avec le droit », relate-t-elle sans ambages.
La juriste née à Berlin – sa famille a immigré au Québec alors que la jeune Marie Laure était âgée de six ans – peut se targuer de posséder un « pedigree » professionnel riche et hors du commun.
Armée d’un baccalauréat en génie physique et d’un diplôme de maîtrise en génie électrique, elle a porté le titre d’ingénieure pendant un an et demie. Non sans satisfaction et pourtant, un coup de foudre intellectuel la titillait. L’objet de son désir? Un cours en droit des brevets, compris dans le cursus de ses études à l’École Polytechnique de Montréal. Son contenu a jeté le pont qu’elle a franchi, entre l’univers de rigueur de la science et la discipline plus nuancée qu’est le droit. « J’en suis ainsi venue à faire ma formation en droit », ajoute-t-elle.
Parallèlement à ses études de baccalauréat en droit à l’Université de Montréal – complétées en 1980 – elle a poursuivi et terminé une formation de maîtrise en administration des affaires (MBA) à l’Université McGill.
Elle fut admise au Barreau du Québec en 1981 et elle a pratiqué le droit commercial au cabinet Desjardins Ducharme pendant huit ans.
Rendre… et laisser à César ce qui appartient à César
Pourquoi jeter son dévolu professionnel sur la protection des brevets, des droits d’auteur et des marques? « J’ai un esprit curieux. Il y a en moi un mélange d’imagination et un attrait pour l’art et les artistes, de même que pour les inventeurs et leurs inventions, explique-t-elle. La propriété intellectuelle, c’est vaste. C’est un domaine qui me met en contact avec la créativité – celle de mes clients, sous forme artistique ou d’inventivité », ajoute celle qui a dirigé deux galeries d’art pendant quelques années.
Elle nourrit sa passion en puisant dans la fougue des jeunes entrepreneurs – les créateurs de logiciels par exemple – qui font fi des risques pour se lancer en affaires.
Animée par cet intérêt soutenu pour leur cause, elle a petit à petit intégré celle-ci à l’offre de services du cabinet, avec l’appui de Me Claude Ducharme. Elle est rapidement devenue agente de marques.
Outillée de ces connaissances en propriété intellectuelle, elle a ensuite fait son entrée chez Bélanger Sauvé, où elle a travaillé principalement dans ce domaine de pratique pendant six ans.
Elle a quitté la vie en cabinet en 1993, pour occuper pendant trois ans le poste de vice-présidente d’une société du secteur des technologies, pour revenir au droit en cabinet, chez De Grandpré Chait, où elle œuvre encore aujourd’hui à titre d’avocate experte en propriété intellectuelle et en technologies.
Restituer et préserver les droits de la création : noble mission, certes, mais elle est doublée du défi que représente des causes dont les enjeux constituent des biens intangibles, qui peuvent être voués à la disparition ou s’écrouler rapidement : la réputation, l’achalandage, les secrets d’affaires…
D’autres causes nécessitent des doses de délicatesse parce qu’elles mettent en scène des parties ayant des liens familiaux. « Je suis présentement impliquée dans un dossier de conflit familial, dans le domaine d’une chaîne de franchises. Je dois utiliser toute la gamme des outils juridiques mis à ma disposition », précise Me Leclercq.
Sans compter les défis inhérents à la « machine » : les contraintes budgétaires des organismes auxquels il faut avoir recours, de même que l’agenda trop chargé de la Cour supérieure. « Nous finissons par arriver à des délais qu’il est difficile de justifier face aux clients. Et on dit parfois qu’un droit reconnu trop tardivement n’est plus un droit… », mentionne-t-elle.
Les vagues que causent certains dossiers isolés n’éclipsent pas les ressacs que génèrent les bouleversements technologiques dans le domaine de la diffusion des œuvres. L’arrivée de iTunes et de ses concurrents, la compétition effrénée et le téléchargement de masse décuplent plus d’une fois le défi de préserver le respect de la propriété intellectuelle et des droits d’auteur, souligne l’avocate.
Une révolution n’attend pas l’autre, poursuit-elle. En matière de marques de commerce par exemple, même les sons et les couleurs peuvent désormais bénéficier d’une protection.
Attachée à l’ABC-Québec
Me Marie Laure Leclercq n’a pas d’enfant mais elle a « adopté » l’ABC et plus spécifiquement l’ABC-Québec, dont elle fut présidente de 2008 à 2010. En plus d’être actuellement présidente de sa section de droit, elle est co-présidente du Comité CORIS (Conférence sur l’identité et l’orientation sexuelle), présidente du Comité législation et réforme du droit et elle occupe un siège au sein du comité exécutif de la section nationale de droit de la propriété intellectuelle.
Parmi un grand nombre d’organisations qu’elle aurait pu « adopter », elle a choisi l’ABC parce que sa mission lui colle à la peau. « Elle est la voix de la profession juridique et celle-ci en a grandement besoin. J’adhère par ailleurs à la position de l’ABC à l’effet qu’il doit y avoir une séparation entre la mission de défendre le public et celle d’être la voix de la profession… », soutient-elle en ajoutant que son travail pour l’ABC-Québec lui permet de rencontrer d’autres juristes passionnants et passionnés…
Tout comme ces artistes et ces inventeurs qu’elle « protège » dans le cadre de sa pratique. Sa voix emprunte une note un peu plus vive lorsqu’elle évoque l’une de ses clientes, chanteuse de la relève qui vient de lancer son album. Et ces entrepreneurs et inventeurs audacieux qui font appel à son expertise.
Entre les œuvres et leurs auteurs, son cœur ne balance pas. Il embrasse les deux.