Le recours au système de justice n’est pas une partie de plaisir. Pour certains justiciables du Québec, de l’Ontario, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, les procédures peuvent même être pénibles en raison de la barrière linguistique. C’est le constat issu d’une récente étude réalisée par le Commissariat aux langues officielles : le processus de nomination des juges ne garantit pas un nombre suffisant de juges bilingues pour répondre aux droits linguistiques des citoyens canadiens.
Le Commissaire, M. Graham Fraser, a dévoilé et expliqué les résultats de l’étude dans le cadre d’une cyberconférence organisée par l’ABC le 24 février 2014.
L’objectif de cette enquête était de déterminer dans quelle mesure le processus de nomination garantit une capacité bilingue adéquate au sein des cours supérieures, plus spécifiquement dans les six provinces nommées ci-haut et en tenant compte de leur portrait linguistique respectif.
Les conclusions de l’enquête sont assises sur une cueillette d’informations en deux volets : les auteurs ont d’une part réalisé 32 entrevues avec des acteurs-clés du système judiciaire (juges en chef, commissariat à la magistrature fédérale, etc.) et ils ont mené, d’autre part, un sondage auprès de 202 avocats membres du Barreau du Québec ou d’associations de juristes d’expression française et exerçant devant les cours supérieures.
En réalité, tous les canadiens ont droit à une enquête préliminaire et à un procès dans la langue de leur choix. Dans les faits, la disponibilité des juges bilingues n’est pas assurée, selon 85% des personnes interrogées dans les régions où il est difficile de procéder dans la langue de la minorité. Dans les régions où il est facile de procéder dans la langue de la minorité, 63% des personnes sondées estiment que la disponibilité des juges est assurée en tout temps.
Où est la faille? « La capacité linguistique des candidats aux sièges de juges n’est pas évaluée », répond M. Fraser.
C’est que le processus de nomination des juges des cours supérieures est discrétionnaire. Ils sont nommés par le Cabinet, sur recommandation du ministre de la Justice. Des comités consultatifs dressent une liste des candidats dont le dossier porte le sceau d’approbation du ministre, de même que de ceux qui ne sont pas recommandés.
On ne procède à aucune vérification objective des compétences linguistiques des candidats qui se disent aptes à présider des instances dans leur langue seconde, pas plus qu’à une analyse des besoins en matière de juges bilingues, révèle l’étude…
« Il y a définitivement des ajournements à cause du manque de juges bilingues. Si l’un d’entre eux prend congé, est en conflit d’intérêts ou est en vacances, les clients vont faire face à des délais supplémentaires. Indirectement, les justiciables sont poussés vers les services en anglais… », témoigne un avocat.
Le Commissariat aux langues officielles a soumis dix recommandations au ministre de la Justice, aux procureurs généraux et aux juges en chef des provinces et territoires. On compte parmi celles-ci l’établissement d’un « protocole d’entente visant à adopter une définition commune du niveau de compétence linguistique requis de la part des juges bilingues et à définir le nombre approprié de juges désignés bilingues ».
L’enjeu est loin d’être dénué d’importance : en plus de constituer une part significative de la qualité du service offert aux justiciables, la connaissance de l’autre langue officielle augmente la compétence juridique des juges.