Rivée devant le petit écran du salon familial, dans son patelin en Virginie, la jeune Christine se projetait souvent dans le personnage de Perry Mason. En regardant l’émission-culte du célèbre avocat fictif, elle était cependant loin de se douter qu’elle allait un jour se porter à la défense des détenus de Guantanamo, ou mener des luttes acharnées pour obtenir une compensation financière pour des victimes de torture ou pour un jeune homme privé d'une partie de sa mémoire à la suite d’un accident d’auto. Pourtant, elle est devenue Maître Christine Carron, avocate chez Norton Rose Fulbright et elle donne une partie d’elle-même – son temps, son énergie et son expertise – pour permettre à des grands blessés, par l’injustice ou par la fatalité de recouvrer une partie de leur vie.
Portrait de la grande Dame de la pratique du droit pro bono, récipiendaire du Prix Pro Bono Rajpattie-Persaud, spécialiste du litige commercial et corporatif.
Perry Mason l’a fait rêver mais ses desseins de restituer la justice aux plus démunis l’ont arrimée à une réalité dans laquelle elle a décidé d’être actrice plutôt que simple témoin, d’abord en s’impliquant avec les groupes communautaires qui luttaient pour les droits civiques des Noirs, puis en choisissant la profession d’avocate.
C’était au début des années 70, époque où un grand nombre de parents ne voyaient pas d’un bon œil les filles qui souhaitaient faire carrière en droit. Christine Carron a donc quitté son Amérique natale (elle est née dans le Michigan et fut élevée en Virginie) pour entreprendre ses études à Montréal. Après l’obtention de son diplôme de baccalauréat en 1977, elle a poursuivi avec une maîtrise en sociologie. C’est d’ailleurs pour ce deuxième cycle qu’elle a choisi le Québec : une professeure de sociologie possédait des données dont elle avant besoin pour sa thèse.
Ce fut le coup de foudre pour Montréal et elle y est restée, pour faire son entrée, en 1978, chez Ogilvy Renault, intégré au Groupe Norton Rose en 2011, qui est devenu le cabinet Norton Rose Fulbright.
Membre de l’ABC-Québec depuis 1978, Me Carron y pratique le droit des institutions financières, des sciences de la vie et soins de santé et de la technologie et de l’innovation, en plus d’occuper le poste de chef de l’équipe responsable des dossiers de la protection de la vie privée et de l’accès à l’information.
Me Carron n’allait pas pour autant laisser tomber cet idéal de protection des droits de la personne qu’elle nourrissait depuis l’adolescence. « J’ai la chance de travailler pour un cabinet qui valorise le travail pro bono. Nous avons d’ailleurs développé, au fil des ans, un programme très fort en pro bono », indique l’avocate âgée de 63 ans.
Labeur et victoires
Elle défend autant des personnes - des locataires de logements dont les propriétaires refusent de régler le problème de contamination par les moisissures par exemple – qu’elle représente des organismes humanitaires sans but lucratif. Son cabinet est par exemple intervenu en Cour d’appel, au nom de REDRESS, une organisation britannique vouée à la défense des survivants de la torture dans le monde.
Me Carron, dont le fils est devenu avocat après avoir pratiqué le journalisme, est également administratrice chez Pro Bono Québec et elle co-préside le Comité d’accès à la justice de l’American College of Trial Lawyers. Elle a notamment participé à la quête de juristes bénévoles canadiens pour la représentation des détenus de la prison de Guantanamo. « C’était un travail hors normes; s’y rendre coûtait très cher et une fois sur place, toutes les communications avec les clients étaient filmées par le gouvernement américain », relate l’avocate avec son discret accent américain.
Le travail pro bono comporte son lot d’écueils, alors que la clientèle est composée de personnes dont les ressources financières sont modestes et pour qui la défaite dans la recherche de compensation peut entraîner des conséquences graves, qui perdurent pour plusieurs années ou à vie.
Elle cite l’exemple de cette cliente victime d’un accident de la route et à qui la SAAQ refusait d’accorder une compensation financière pour défrayer les coûts des soins nécessaires pour ses migraines chroniques. « Cela m’a affectée. Mais nous avons quand même réussi à obtenir une rente à vie, après une lutte acharnée », raconte-t-elle, la voie discrètement altérée par un filet d’émotion.
Cette « demi-victoire », comme les autres victoires, allègent le poids des revers et insufflent l’énergie qui permet de poursuivre la lutte pour l’obtention de la justice, affirme Me Carron. Celle-ci valait tout le labeur consacré au dossier de cette femme. « Voir ses larmes de soulagement lorsqu’elle a appris la nouvelle a été comme un cadeau… », ajoute-t-elle.
Entre les dossiers de litiges commerciaux et corporatifs sur lesquels planche Me Christine Carron, les drames associés à son travail pro bono constituent parfois de longues et épouvantes joutes judiciaires. Comme celui de ce jeune Québécois qui avait subi de graves séquelles neurologiques à la suite d’un accident d’automobile survenu en France. Le courage de ses parents et les efforts de ses amis lui ont permis de recouvrer une partie de sa mémoire à long terme.
Son avocate, Me Christine Carron, a pour sa part obtenu gain de cause dans sa demande de compensation financière à la SAAQ… après dix ans de lutte.
Restituer ainsi une partie de la vie que le destin, la cruauté ou l’injustice a volée à toutes ces victimes s’avère une noble mission qui relègue Perry Mason au rang… de la fiction. C’est la réalité de Maître Christine Carron, prodige du travail pro bono.