Droits d’auteur et faillite : commentaires à la lumière de la faillite de La courte échelle

  • 21 octobre 2014
  • Me Chloé Latulippe, présidente de la section de droit Information, télécommunications et propriété intellectuelle

Le domaine du livre est connu pour l’interdépendance de ses différents acteurs. La santé financière des uns affecte sans contredit celle des autres, et ce, tout particulièrement, dans un contexte d’insolvabilité. Il suffit de penser aux conséquences d’une saisie d’exemplaires de l’œuvre par un créancier ou encore au refus d’un tiers ayant reçu une licence de reproduction de la part d’un éditeur de verser des redevances à l’auteur pour s’en convaincre. L’annonce récente de la faillite des éditions de La courte échelle soulève de nombreuses questions quant au sort réservé aux droits d’auteurs dans un tel contexte.

Les contrats entre auteurs et éditeurs au Québec prévoient fréquemment qu’en cas de faillite de l’éditeur, l’auteur « récupère » ses droits. En parallèle avec ce cadre contractuel, deux lois, l’une provinciale et l’autre fédérale, traitent des conséquences de la faillite d’un éditeur sur les droits d’auteur. Ces deux lois semblent apporter des réponses différentes à la problématique du sort des droits d’auteurs, entraînant ainsi une interaction singulière entre le cadre contractuel et législatif.

D’une part, l’article 36 de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q. c. S-32.01 (la Loi sur le statut professionnel) stipule que « le contrat est résilié si le diffuseur commet un acte de faillite ou est l’objet d’une ordonnance de séquestre en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ». Cet article reflète bien la pratique contractuelle qui voulait qu’il y ait résiliation du contrat lorsque survient un évènement annonciateur de difficultés financières graves pour l’éditeur. La résiliation du contrat a pour principale conséquence de priver l’éditeur des droits qui lui ont été cédés ou concédés. Si, toutefois, les exemplaires de l’œuvre ont été imprimés et publiés conformément au contrat, ceux-ci appartiennent à l’éditeur et demeurent dans son patrimoine.

D’autre part, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (la Loi sur la faillite) traite également du sort des manuscrits et des droits d’auteur en contexte de faillite. L’article 83 de cette loi vise les cas où l’auteur a cédé ses droits (même partiellement) à un éditeur qui fait faillite et prévoit les conséquences de la faillite qui varient selon l’état d’avancement de l’ouvrage. Si l’ouvrage n’a pas encore été publié et commercialisé et qu’il n’a pas occasionné de dépenses, les droits d’auteur retournent à l’auteur et le contrat est résilié1. Si l’ouvrage a été complétement ou partiellement composé en typographie et a occasionné des dépenses au failli, les droits d’auteur retournent à l’auteur et le contrat est résilié, à condition que l’auteur rembourse ces dépenses dans un délai de six mois à compter de la date de la faillite. Si l’auteur omet de rembourser ces dépenses dans les six mois, le syndic pourra se prévaloir du contrat. Les droits d’auteur retournent aussi à l’auteur et le contrat est résilié, sans frais, si le syndic décide de ne pas se prévaloir du contrat après un délai de six mois de la faillite. Dans l’éventualité où l’ouvrage aurait été commercialisé au moment de la faillite, le paragraphe 83(2) de la Loi sur la faillite prévoit que le contrat entre l’auteur et l’éditeur est résilié mais que le syndic a le droit d’autoriser la vente ou la reproduction de l’ouvrage à condition de payer des redevances à l’auteur. Le syndic peut également céder le droit d’auteur ou accorder une licence à un tiers sans le consentement de l’auteur s’il garantit à ce dernier un paiement (sous forme de redevances ou de pourcentage des profits) à un taux au moins égal à celui que l’éditeur en faillite était tenu de lui payer. Le syndic se voit donc accorder par la Loi sur la faillite le droit de céder le droit d’auteur ou de concéder des licences, créant ainsi, en quelque sorte, de nouveaux liens contractuels entre l’auteur et un nouveau cessionnaire ou licencié.

Il ressort de ce qui précède que la Loi sur la faillite semble permettre la survie du contrat intervenu entre l’auteur et l’éditeur failli dans le cas d’un ouvrage non encore commercialisé si l’auteur omet de se prévaloir de la possibilité de « racheter » le contrat dans un délai de six mois, et si le syndic décide de mettre le contrat à exécution. Dans le cas d’un ouvrage commercialisé, le syndic se voit accorder certains droits qui permettent de croire à la survie du contrat à certains égards. Cette survie du contrat en vertu de la Loi sur la faillite apparaît contraire à la Loi sur le statut de l’artiste qui énonce la résiliation pure et simple du contrat. Il pourrait donc bien y avoir un conflit entre la loi provinciale et la loi fédérale. Dans un cas, le contrat est résilié, et dans l’autre, le contrat (ou ses effets) pourraient survivre à la faillite. La loi fédérale prévoit que les dispositions du paragraphe 83(1) s’appliquent « nonobstant les autres dispositions de la (…) (L)oi (sur la faillite) ou toute autre loi » réglant ainsi - en apparence - la question du conflit de lois. Se pose néanmoins la question de la validité d’une convention à l’effet contraire entre l’auteur et le failli. Rappelons que l’article 65.1 de la Loi sur la faillite prévoit qu’en cas de dépôt d’un avis d’intention ou d’une proposition à l’égard d’une personne insolvable, il est interdit de résilier ou de modifier un contrat conclu avec cette personne ou de se prévaloir d’une clause de déchéance du terme figurant dans un tel contrat, au seul motif que la personne en question est insolvable ou qu’un avis d’intention ou une proposition a été déposé à son égard. Cette disposition l’emporte sur les dispositions incompatibles de tout contrat, celles-ci étant sans effet.

1 Notons que l’expression exacte employée dans la loi est que le contrat « cesse alors et devient nul », ce qui soulève des questions d’un autre ordre, notamment quant au sens de la nullité d’un contrat par opposition à sa résiliation.