Les mots sont sortis de la bouche de tant de personnes – juristes ou non – depuis plus de 20 ans. Ils ont été couchés sur tant de feuilles formant divers rapports au fil des ans. Ces mots, « accès à la justice », reviennent en force dans le rapport Justice pour tous (Trouver l’équilibre). Celui-ci ne sera toutefois pas relégué aux tablettes des intentions stériles car ses auteurs du Comité d’accès à la justice de l’Association du Barreau canadien (ABC) l’ont bouclé avec des stratégies et des recommandations concrètes. Et ils comptent bien garder l’œil ouvert sur les initiatives qui en émergeront. La Division du Québec, présidée par Me Michèle Moreau, est rapidement montée dans le train; elle planche sur la mise en place d'initiatives au Québec.
L’aspiration à la justice pour tous pourrait ne plus être une utopie au Canada. Car les problèmes, eux, sont bien réels : disparités régionales dans l’admissibilité à l’aide juridique, croissance des services pro bono pour combler les services essentiels, augmentation substantielle du nombre de parties non représentées devant la justice, part famélique (en moyenne 1%) des budgets gouvernementaux consacrée au système de justice et pénurie d’avocats dans les petites municipalités constituent quelques exemples des assises qui ont permis à l’ABC d’élaborer les trois stratégies qui jettent le pont entre l’inégalité devant la justice et la justice pour tous : faciliter la justice au quotidien, transformer la justice officielle et réinventer la prestation de services juridiques.
«Le sujet est dans l’air depuis plus de 20 ans, laisse tomber Me Moreau. Il y a eu récemment le rapport Cromwell. À l'ABC, on avait jusque là consacré beaucoup d’efforts à la bonification de l’aide juridique au Canada, mais cela ne règle pas tout. Dans l’accès à la justice, il est aussi question de l’accès pour les gens de la classe moyenne ».
L’ABC a formé son comité permanent d’accès à la justice en septembre 2011. Avant de concocter les remèdes, il fallait débusquer les maux : des avocats et des intervenants communautaires ont mené des consultations auprès de citoyens marginalisés, mais également d’organismes communautaires qui offrent des services d’ordre juridique ou d’autre nature, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, au Québec, en Ontario, en Saskatchewan et en Alberta. Le Réseau national d’étudiants pro bono a collaboré à cette consultation.
Les récits des expériences – parfois pénibles – récoltés ont révélé les obstacles les plus fréquents à l’accès à la justice, explique Me Moreau : l’information déficiente pour les citoyens, la faible coordination entre les organismes qui offrent de l’aide de nature juridique et la difficulté de jauger les résultats des efforts consacrés à l’atteinte des objectifs.
Le Comité a ensuite confié à cinq sous-comités le mandat de recueillir l’information nécessaire pour décortiquer l’évaluation de l’accès à la justice, l’établissement de normes nationales en matière d’aide juridique, l’innovation dans la prestation de services juridiques, la conciliation du travail pro bono et de l’aide juridique et l’aide à la classe moyenne.
Prêts pour l’action
Le fruit de leurs recherches a fait l’objet de discussions entre avocats, juges, intervenants communautaires et membres des barreaux et du public réunis dans le cadre du Sommet Nouveau regard sur l’égalité devant la justice, en avril 2013.
Les recommandations des 5 sous-comités bonifiées avec les commentaires de ces quelque 250 personnes ont mené à la production du rapport sommaire en août 2013, puis final en décembre 2013, « Atteindre l’égalité devant la justice : une invitation à l’imagination et à l’action ». Celui-ci fut approuvé en entier par les membres du Conseil national de l’ABC en février 2014.
« L’objectif est maintenant de susciter des initiatives dans les provinces et les territoires », indique la présidente de l’ABC-Québec.
Rien ne saurait justifier l’inaction puisque le rapport contient des suggestions bien concrètes pour passer à l’action. Elles se déclinent en 31 recommandations étoffées de mesures suggérées, qui s’arriment pour leur part à trois stratégies : faciliter la justice au quotidien, transformer la justice officielle en réorientant les tribunaux vers leur mission de trancher les différends entre personnes et réinventer la prestation de services juridiques en garantissant un accès transparent et exempt de lacunes.
La première stratégie pourrait par exemple prendre la forme de l’établissement de bilans de santé juridique, à l’image des bilans de santé physique (avec des questions telles que : Avez-vous des enfants? Avez-vous fait un testament? Quel est votre état civil?). Le Comité suggère également le recours aux solutions technologiques pour améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien.
La métamorphose de la justice officielle se concrétiserait quant à elle notamment en rendant plus efficace le processus de triage et d’aiguillage interne et externe des tribunaux.
La troisième stratégie, qui vise à « réinventer la prestation des services juridiques », se traduirait notamment par un appui accru aux cabinets juridiques qui font appel à des équipes intégrées de fournisseurs de services, qu’ils soient juridiques, parajuridiques ou sociaux, de même que par un élargissement de la couverture d’assurance des frais juridiques.
À chacun sa part de mission
« Chaque avocat a un rôle à jouer. On associe souvent l’égalité devant la justice au traitement des litiges devant les tribunaux mais il faut aussi tenir compte de la prévention, du travail en amont, souligne Me Moreau. Bien des gens ne savent pas vers qui se tourner lorsqu’ils ont des problèmes légaux; cela devrait préoccuper tous les avocats ».
Elle poursuit en signalant que la Division du Québec songe à faire un premier pas en direction de l’égalité devant la justice en développant un outil pour dresser des bilans de santé juridique.
Assurément, l’ABC-Québec doit faire davantage sentir sa présence dans l’atteinte de ce noble objectif, soutient sa présidente.