L'arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat: des enjeux sources de questions...

  • 21 mai 2014
  • Me François Dadour, président de la section de droit criminel, Les avocats Poupart, Dadour, Touma et associés

Une anlayse du président de la section de droit criminel, Me François Dadour.

Dans une décision fort attendue, la Cour suprême du Canada a tranché le sort des certificats de sécurité et autres questions connexes dans le récent arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37.

Les questions soulevées par le régime des certificats de sécurité sont nombreuses et très complexes. Bien qu’elles relèvent techniquement du droit de l’immigration, celles-ci sont également d’un grand intérêt pour le droit administratif et le droit criminel. En effet, les enjeux relatifs à la sécurité nationale sont vastes et sont susceptibles de générer une panoplie de litiges touchant à du droit administratif « musclé », ou encore à des procédures criminelles en vertu des dispositions anti-terroristes que l’on retrouve dans le Code criminel. Compte tenu de ces recoupements, l’arrêt Harkat est d’un intérêt général quoique certain pour les criminalistes.

Le régime des certificats de sécurité s’applique aux non-citoyens et permet à l’État de démontrer qu’un non-citoyen est inadmissible au Canada et qu’il doit en être expulsé. L’inadmissibilité peut notamment découler d’actes d’espionnage, de subversion, de terrorisme, d’appartenance à une organisation terroriste ou d’actes qui constituent un danger pour la sécurité du Canada. Les faits sont appréciés sur la base de motifs raisonnables et peuvent même s’inférer prospectivement. Certains faits sont de nature publique alors que d’autres sont des renseignements secrets. Deux ministres doivent d’abord signer le certificat et peuvent lancer un mandat d’arrestation permettant de détenir la personne visée par le certificat. L’étape suivante est de nature judiciaire. Un juge désigné de la Cour fédérale doit alors statuer sur la raisonnabilité du certificat. En vertu de la Partie IX de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, il doit à la fois protéger l’équité des procédures et garantir le secret des renseignements confidentiels. Une conclusion à l’effet que le certificat est raisonnable constitue une mesure de renvoi. Un appel est possible sur certification du juge désigné seulement. La personne visée par le certificat peut être détenue pendant des années – voire indéfiniment – sur la foi d’une preuve qu’elle ne connaît pas totalement.

En 2007, la Cour suprême avait conclu que ce régime violait l’article 7 de la Charte et qu’une atteinte minimale n’avait pas été démontrée par l’État. Elle déclarait donc le régime des certificats inconstitutionnel (« Charkaoui I »). L’article 7 était en jeu puisque – comme en matière criminelle – le régime des certificats peut provoquer la mise en détention de la personne visée et, alternativement, permettre son expulsion vers des pays où elle risque la torture ou la mort. Le Parlement a alors modifié la Partie IX de la Loi et introduit le régime des avocats spéciaux. Ceux-ci, nommés par le ministre de la justice du Canada et assignés à un dossier par un juge désigné de la Cour fédérale, ont pour mandat législatif de prendre connaissance de l’ensemble de la preuve – incluant la preuve secrète – et de contester les allégations de confidentialité avancées par les ministres, de même que de contester le mérite de l’affaire pour et au nom de la personne intéressée. Les avocats spéciaux jouissent d’une habilitation de sécurité exceptionnelle qui leur permet de jouer ce rôle.

En 2008, la Cour suprême était à nouveau saisie des certificats de sécurité, cette fois relativement à une problématique de divulgation de preuve et de destruction d’information (« Charkaoui II »).

L’arrêt Harkat est ainsi la pièce finale de la trilogie des certificats de sécurité. La Cour était saisie d’une contestation plutôt similaire à celle de Charkaoui I. La question était de savoir si le nouveau régime, qui incluait l’apport des avocats spéciaux, rétablissait l’équité procédurale d’une manière suffisante pour réussir l’examen constitutionnel. La Cour a conclu que le nouveau régime était valide. Elle a offert de nombreuses indications et pistes de solutions qui favorisent une interprétation robuste du rôle des avocats spéciaux et l’exercice vigilant d’une vaste discrétion dévolue au juge désigné afin de garantir une procédure équitable pour la personne visée par le certificat. Puisque l’article 7 de la Charte est en cause en matière de certificats de sécurité, le juge désigné doit envisager sans hésitation des mesures de réparation efficaces en cas de tension irréconciliable entre l’équité procédurale et la protection de la sécurité nationale. Pour une Cour unanime, la somme de ces protections sauvegarde le régime amélioré mis en place par le Parlement en 2008.

L’arrêt Harkat génère une autre question qui tisse un lien avec le droit pénal. Le privilège de l’informateur est bien connu des criminalistes. Il s’agit d’un privilège générique (par opposition au privilège au cas par cas) qui a pour effet d’empêcher la divulgation de toute information pouvant permettre d’identifier un informateur de police. Le privilège de l’informateur est une pierre angulaire du droit criminel et des enquêtes policières depuis plus de deux siècles. S’il est applicable, il ne connaît qu’une seule exception : l’innocence de l’accusé.

La question soulevée par l’arrêt Harkat est celle de savoir si une source humaine de renseignement de sécurité qui fournit de l’information à un service de renseignement voit son identité protégée par le privilège de l’informateur. Une majorité de la Cour a conclu que le privilège de l’informateur était inapplicable à une source humaine de renseignement, en soulignant la distinction entre la fonction d’un service de police et celle d’un service de renseignement. Cependant, la Cour souligne que l’absence de privilège ne signifie pas que l’information peut être rendue publique. En effet, plusieurs lois prévoient une interdiction de divulgation de ce type de renseignement.

L’impact de l’opinion avancée par la majorité est substantiel. En effet, si le privilège de l’informateur est inapplicable à une source humaine de renseignement, cela signifie que l’avocat spécial – contrairement à l’avocat de la défense – peut avoir accès à l’identité de la source et, dans les cas exceptionnels, se voir autorisé à la contre-interroger. En effet, contrairement à la situation juridique en matière criminelle, les faits rapportés par la source humaine peuvent fonder la décision du juge désigné au mérite du certificat, sans pour autant que ces faits soient nécessairement portés à la connaissance de la personne visée. Les juges Abella et Cromwell ont inscrit leur dissidence quant à la question du privilège.

Le droit relatif à la sécurité nationale est riche de problématiques complexes qui se situent à la confluence du droit civil, administratif et pénal. Bien que l’arrêt Harkat ne relève pas exclusivement du droit pénal, il marque un jalon qui pourrait alimenter de futurs litiges dans ce domaine de droit comme dans d’autres.