Le monde juridique est en train de changer drastiquement. Ce n’est pas moi qui le dis : ce sont des gens beaucoup plus sages qui ont déjà plusieurs années de pratique derrière le rabat. L’importance de cette petite révolution est telle que l’Association du Barreau canadien a même dédié d’importantes ressources à rédiger un rapport sur le sujet avec le projet Avenirs en Droit. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une conférence à ce sujet donnée par l’ABC-Québec lors de la soirée Vins et fromages annuelle que j’ai réalisé l’ampleur des défis à venir. Si des juristes expérimentés ont déjà fait un important travail de documentation sur les changements futurs de la profession, ce sont nous, étudiants en droit, qui devront inévitablement mettre notre créativité à l’épreuve pour y faire face.
D’abord, nul ne peut ignorer l’importance de l’ère technologique et de la facilité d’accès à l’information que cela engendre. Le domaine de la santé vient inéluctablement en tête lorsqu’on évoque ce phénomène. Qui n’a pas déjà entendu l’histoire du patient qui rencontre son médecin pour un problème qu’il a déjà diagnostiqué en bonne partie, cherchant ses symptômes sur Google?
Le monde juridique n’y échappe pas. L’informatisation de notre profession permet de trouver en quelques clics l’information recherchée. Or, si nous avons accès à d’importantes ressources si facilement, c’est également le cas pour nos futurs clients. À la façon du médecin, nous rencontrerons des clients qui, en plus de savoir où ça fait mal, auront probablement déjà une bonne idée de la pilule qu’ils veulent s’administrer. D’autres vont même jusqu’à utiliser ces outils moins coûteux pour plutôt se représenter eux-mêmes.
De ce fait, les plus grands enjeux du futur sont évidemment à l’égard de notre approche-client et de la confiance du public. On estime que les canadiens ne sollicitent des conseils juridiques que pour 11,7 % des problèmes justiciables. À cet effet, il est primordial d’innover, et ce, afin de rendre les services juridiques plus accessibles à un plus grand nombre. Me Marie-Claude Rigaud, secrétaire et professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal, est d’avis qu’en permettant, entre autres, aux avocats de collaborer avec d’autres professionnels au sein de structures d’entreprises alternatives, le justiciable pourrait sans aucun doute bénéficier des nombreux avantages qu’impliquent la complémentarité de cette collaboration. Fait notable, Me Rigaud mentionne également la chance unique que nous avons d’étudier dans un domaine qui subit d’aussi profonds changements. Effectivement, nous pourrons bientôt être des créateurs au sein même de cette petite révolution.
On remarque également que de grandes compagnies ont tendance à internaliser leurs services juridiques. J’effectuerai moi-même mon stage de formation professionnelle au sein d’une entreprise québécoise qui formera un futur avocat pour la première fois. D’abord, ce que je retiens principalement de mon expérience estivale en contentieux, c’est que la vision d’entreprise est primordiale. Ainsi, il ne suffit pas d’identifier l’aspect légal d’un défi mais également d’anticiper les retombées potentielles sur une foule d’autres domaines qui peuvent toucher l’entreprise; l’impact réputationnel par exemple. Il s’agit également d’un emploi qui nécessite une certaine proactivité au niveau du règlement de litiges potentiels ou de la judiciarisation de certains dossiers, de façon à contribuer à la réduction de coûts importants pour la société. Plus encore, l’avocat d’entreprise est partie intégrante de celle-ci ; il se démarque donc en contribuant activement aux décisions d’affaires de son employeur. Son rôle implique même de participer à l’augmentation des revenus de l'organisation, en apportant entre autres un précieux soutien lors de négociations contractuelles.
Quant aux conséquences de l’essor nouveau des contentieux sur les cabinets privés, j’ai eu la chance cet été d’échanger avec l’associé-directeur d’un important cabinet montréalais. À son avis, cette nouvelle tendance à augmenter les services juridiques à l’interne n’ont pas pour effet de condamner les cabinets privés, qui apportent encore une expertise juridique et un détachement essentiels par rapport au client. Il avoue toutefois que les consommateurs de services juridiques sont désormais certainement plus avertis et exigeants. Par exemple, son cabinet a récemment dû proposer à des clients d’offrir des services pour un montant forfaitaire. C’est une pratique relativement nouvelle qui demande une grande connaissance des besoins du client.
Sur une note positive, un autre aspect du monde juridique est changeant et est digne de mention : la féminisation de notre profession. Effectivement, les facultés de droit et les écoles de formation professionnelle sont actuellement fréquentées à plus de 65 % par des femmes, un pourcentage record. Également, pour la première fois de l’histoire, les postes de juge en chef de la Cour suprême, de juge en chef de la Cour d’appel, de juge en chef de la Cour du Québec et de ministre de la justice du Québec sont tous occupées par des femmes. S’il s’agit là d’une excellente nouvelle, il y a toujours du travail à faire pour l’égalité des sexes au sein de la profession et c’est en travaillant collectivement que nous approcherons de l’équilibre souhaitable.
En terminant, je ne puis qu’encourager mes collègues à rester impliqués. Pendant mon parcours universitaire, j’ai eu la chance de connaître plusieurs étudiants qui brillent par leur engagement communautaire. Qu’ils siègent sur des conseils d’administration d’organismes de bienfaisance ou sur différents comités scolaires promouvant l’accès à la justice ou l’égalité sociale, leur contribution quotidienne démontre clairement une volonté réelle que notre pratique future ait un impact positif. Chacun de ces petits gestes sont essentiels pour conserver et améliorer la confiance qu’ont les citoyens envers notre système de justice.
Je suis fier de ma génération, fier d’évoluer au contact de gens engagés, concernés et impliqués.
À tous, bonne rentrée!
Alexandre Morin
Coprésident de la section Étudiants et étudiantes de l’ABC-Québec
Étudiant à l’École du Barreau du Québec