Ils ont posé les pierres et édifié presque toute la charpente de leur nouvelle vie, un rêve auquel ils se sont arrimés pendant plusieurs années. Il ne manque qu’un toit : leur citoyenneté. Mais voilà que le bonheur de ces résidents permanents canadiens peut s’écrouler en un clic de souris. La menace? L’imposition, au poste frontalier, d’une mesure d’interdiction de séjour pour non-respect de l’obligation de résidence.
Les questions que soulève cet enjeu feront l'objet d'une conférence organisée par notre section en droit de l’immigration, et ayant pour thème « Demande de contrôle judiciaire en matière de citoyenneté », le 30 janvier 2014. L'Honorable Yves de Montigny, juge à la Cour fédérale et Me Daniel Latulippe, du Département de Justice sont les conférenciers invités pour cette activité de formation et Me Geneviève Hénault, de Gomberg Dalfen, y sera modératrice.
La mobilité des personnes ne cesse de s’accroître partout dans le monde – le Canada ne fait pas exception à la règle - ce qui multiplie inévitablement le nombre de contrôles exercés aux divers postes frontaliers canadiens.
En vertu de l’article 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) peut émettre une mesure de renvoi à l’encontre d’un résident permanent du Canada qui se présente à un poste frontalier (terrestre ou aérien) pour être admis au Canada après un séjour à l’étranger. Le motif alors évoqué est le non-respect de l’obligation de résidence et l’agent peut émettre la mesure sans avoir à déférer le dossier à la Section de l’immigration pour enquête.
La décision d’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada d’émettre une mesure d’interdiction de séjour à l’encontre d’un résident permanent, à la suite d’un contrôle somme toute sommaire exercé au poste frontalier, entraîne des conséquences majeures. La première est l’obligation de quitter le Canada dans les 30 jours à partir du moment où la mesure devient exécutoire. Le résident permanent doit également confirmer son départ du Canada auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada, à moins d’interjeter appel de la mesure de renvoi devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.
La deuxième conséquence est d’empêcher l’attribution de la citoyenneté au résident permanent qui avait une demande de citoyenneté canadienne en cours de traitement au moment de l’émission de la mesure de renvoi.
L’article 5(1) de la Loi sur la citoyenneté prévoit en effet que le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas non plus visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.
Le législateur canadien souhaitait-il vraiment octroyer aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada le pouvoir de mettre fin aux demandes de citoyenneté canadienne en cours de traitement? Les résidents permanents qui respectent leur obligation de résidence peuvent-ils être assurés qu’ils seront contrôlés de façon juste et équitable lors de leur entrée au Canada?
Il faut parfois attendre de 24 à 36 mois avant qu’un appel de la mesure de renvoi devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada soit entendu. Dans un tel contexte juridique, quelle est la réponse de la Cour fédérale du Canada, à qui une demande de contrôle judiciaire de la décision de mettre fin à la demande de citoyenneté est présentée?
L’enjeu est crucial et les juges et les avocats qui pratiquent en immigration doivent connaître tous les fils dont il est tissé. Il en va du destin de tous ces immigrants qui ont érigé leur nouvelle vie sur les vestiges des affres de leur passé et à l’aune de leurs espoirs.