Elle joue sur sa propre scène. Parce qu’elle ne voulait pas placer ses desseins entre les mains de quiconque : gracile et de petite taille, elle lorgnait avidement l’affirmation professionnelle et le statut qui allaient lui permettre de goûter la reconnaissance. Forte en verve jouée, elle aurait pu fouler les planches. Elle a opté pour le théâtre des antagonismes entre patrons et syndicats, mue par le désir de concilier les intérêts des acteurs du monde du travail. Aujourd’hui, Maître Claire Brassard nourrit ainsi depuis 30 ans son idéal de justice.
Portrait de celle qui se pare du sobriquet « bête sociale », associée chez Cain Lamarre Casgrain Wells et présidente de notre section Forum des femmes juristes.
On trouve peut-être quelques traces des gènes de son aïeul paternel dans son choix de carrière en droit puisque ce dernier était avocat. Qui plus est, deux de ses cousins ont embrassé cette profession. Mais les assises de sa décision relèvent davantage du désir de posséder un statut professionnel qui ne saurait être ébranlé ou remis en cause.
Après des études en sciences politiques au début des années 70, elle a plongé dans les cours de baccalauréat en sciences juridiques en 1977, à l’UQAM, avant de compléter, 12 ans plus tard, une maîtrise en administration publique à l’ENAP (École nationale d’administration publique).
« Mes parents pensaient que j’allais faire du théâtre ou des arts visuels; j’étais l’artiste de la famille. Je faisais du théâtre et j’avais même fondé une troupe… », relate l’avocate de 61 ans.
Elle a entretenu sa flamme pour cet art, en important du Centaur Theatre, en 1995, l’initiative de Me Peter Blaikie, qui recrutait des gens d’affaires pour monter sur les planches, dans le cadre d’événements au bénéfice des théâtres. C’est le Théâtre d’Aujourd’hui qui en profite depuis près de 15 ans.
Le flambeau qu’elle porte toutefois au quotidien est animé par sa soif d’idéal de justice. « J’ai toujours voulu défendre la veuve et l’orphelin. J’étais dans le mouvement féministe, de la gauche », mentionne-t-elle.
C’est à la défense des travailleurs syndiqués qu’elle a voué ses aspirations au rétablissement de la justice dans le milieu du travail, d’abord au service de la CSN (Centrale des syndicats nationaux) pendant ses études universitaires. Elle a par la suite mis ses compétences au profit de la CEQ (Centrale de l’enseignement du Québec - devenue la CSQ en 2000) de 1979 en 1986.
« Je suis allée en droit du travail vraiment par choix. La CSN était LA centrale syndicale. J’avais été très sensibilisée à la situation des travailleurs, notamment lors de la grève du Front commun intersyndical en 1972, pour le salaire des employés d’hôpitaux. Nous étions en retard par rapport à la fonction publique fédérale, qui avait de meilleures conditions », explique Me Brassard, mère de trois enfants, qui sont aujourd’hui à l’âge adulte.
Elle endossait également les revendications des groupes féministes. Le mouvement syndical ralliait toutes les forces vives de la société et ces rapports sociaux et économiques allumaient la jeune avocate.
Les deux faces de la médaille
Admise au Barreau en 1982, Claire Brassard a poursuivi son parcours professionnel en effectuant des arrêts chez Via Rail Canada, de 1987 à 1989, puis à la STM (Société de transport de Montréal), de 1989 à 1991.
Elle a troqué cet univers pour se plonger dans celui des cabinets, en 1991. D’abord recrutée par Phillips Vineberg, elle a ensuite travaillé au sein de l’équipe de Castonguay White Brassard, qui a par la suite fusionné avec Mercier Leduc. Elle a joint les rangs de Cain Lamarre Casgrain Wells en 2010.
Ce passage marque également le saut de Me Brassard de l’autre côté de l’arène des relations syndicales-patronales. Un abandon de l’inclination à défendre « la veuve et l’orphelin » contre le puissant patronat? Nullement. La poursuite de son idéal de justice et de résolution des conflits, avec les mêmes outils mais tournée vers l’autre partie? Certes oui. « Je n’ai plus la naïveté de mes 20 ans mais une de mes passions est de contribuer à la résolution des problèmes. Le fait d’avoir travaillé pour les syndicats me permet de comprendre les deux côtés, ce qui est un atout pour la clientèle. Du côté syndical, il fallait que je travaille à pourfendre l’ennemi en quelque sorte. Je donne désormais des conseils pour trouver des solutions », explique l’avocate, qui a enseigné le droit du travail pendant 15 ans à l’Université de Montréal.
Elle prône la conciliation plutôt que de recourir aux techniques de l’affrontement. Elle est régulièrement confrontée aux visions des divers acteurs du droit du travail, car celui-ci est marqué par la présence de différentes « écoles de pensée », estime Me Brassard. Il existe par exemple encore, des deux côtés de la clôture, des « éléments radicaux » qui cherchent constamment l’affront, une approche généralement stérile et coûteuse, à son avis.
Vagues et défis
Avant d’être tissé de cet amalgame de visions, le droit du travail a subi soubresauts et mutations, dont Me Claire Brassard fut témoin. « Je suis arrivée pendant une période de changements et de déploiements… il y a eu la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, la Loi sur les normes du travail, la Charte des droits et libertés, la Charte de la langue française… Nous avions un environnement législatif qui faisait le bonheur de tous… Pour les avocats, ce furent des années d’or (1975 à 1985) », se rappelle-t-elle.
Ces années furent en effet fructueuses pour le mouvement syndical, qui a cumulé les acquis, alors que les entreprises étaient forcées de rationaliser leur gestion des relations de travail. Cette période fut incidemment fertile pour l’appétit professionnel de Claire Brassard : riche en apprentissages, dont elle nourrissait ses propres étudiants, tout en les appliquant dans sa pratique.
Le tableau a changé. Le vieillissement de la main-d’œuvre et la difficulté de recruter, dans plusieurs secteurs, des travailleurs formés et qualifiés, comptent parmi les nouvelles couleurs du marché, qui teintent bien sûr aussi le droit du travail et de l’emploi, signale Me Brassard. « Nous conseillons davantage nos clients en gestion de l’absentéisme ou des congés de maladie et des recours en matière de harcèlement psychologique par exemple. On constate aussi la résurgence des droits individuels aux côtés des droits collectifs », ajoute-t-elle.
Elle nage cependant fort aisément dans ce nouvel univers, tout en partageant son temps, sa générosité et ses connaissances avec divers organismes et institutions : la Fondation Solstice, l’École des femmes, le Théâtre d’Aujourd’hui et la Fondation Léa-Roback n’en sont que quelques exemples.
Elle est membre de l’ABC-Québec depuis une vingtaine d’années. L’avocate y sustente sa soif de formation, en plus de jouir d’opportunités de rencontrer des collègues dans le cadre des activités organisées par la Division du Québec. « J’ai concilié mes intérêts féministes et mon implication, en prenant le Forum des femmes juristes. J’ai à cœur les conditions de travail des femmes avocates, mais nous voulons aussi être le haut-parleur des droits de toutes les femmes», affirme-t-elle.
Et qu’en est-il de ses propres combats contre les écueils de ses avancées? Parmi ceux-ci, les exigences accrues de la clientèle, dont la quête d’un avocat s’apparente aujourd’hui au « magasinage », ne la troublent pas. « C’est en quelque sorte une relation d’affaires et je trouve cela bénéfique pour tout le monde », estime-t-elle en ajoutant que la tarification horaire constitue souvent une source de soucis…
Le cumul des années sur le fil du temps est pour elle tout sauf source d’angoisse : au contraire, ses conseils semblent aboutir dans des oreilles plus attentives, fait-elle remarquer…
Et les années devant? Elle aspire à mener des négociations de grande envergure, telles que celles des conventions collectives des cols bleus pour la ville de Montréal. Elle salive en pensant à d’éventuelles délibérations pour le compte de l’État… Les contrats de travail de grands groupes de travailleurs miroitent parmi ses ambitions...
Pour Maître Claire Brassard, c’est la grande scène quoi. Ce n’est pas du jeu, mais c’est le théâtre de sa passion, où elle ne cesse de grandir.