L’injonction : une arme souvent plus efficace que le recours en dommages pour l’industrie de la construction!

  • 09 avril 2014
  • Me Liviu Kaufman, cabinet Blakes, Cassels & Graydon

Ce texte est le premier article fourni par l'un de nos cabinets partenaires, à la suite de l'invitation lancée à chacun d'entre eux par l'ABC-Québec. N'hésitez pas à soumettre vos textes.

L'auteur de ce texte, Me Liviu Kaufman pratique en litige civil et commercial, faillite et insolvabilité, propriété intellectuelle, recours collectifs et droit du travail.

Imaginons un instant le scénario suivant : vous êtes entrepreneur en pavage de routes. Vous avez présenté une soumission pour obtenir le contrat de réfection des routes de la Ville XYZ. Sans tambour ni trompette, vous apprenez quelques mois plus tard qu’un concurrent qui n’avait pas satisfait à tous les critères requis par l’appel d’offres s’apprête à faire les travaux dans la Ville XYZ.

Que faites-vous? 

Chaque année, une quantité impressionnante de litiges est entamée par des entreprises réclamant des dommages à un organisme public en affirmant avoir été lésées à l’issue d’un appel d’offres. Dans la plupart des cas, ces soumissionnaires sont d’avis que le contrat aurait dû leur être octroyé et ils réclament donc le montant des profits qu’ils auraient générés s’ils avaient obtenu le contrat.

En théorie, cette stratégie est pertinente, voire efficace. En réalité, la grande majorité des jugements rendus en la matière se solde par une défaite du soumissionnaire, car il est difficile d’obtenir des dommages d’un organisme public et que les juges sont réticents à l’idée de condamner des villes à payer des dommages. Les raisons expliquant ces échecs sont nombreuses, mais le résultat est le même.

Et s’il y avait une autre approche?

Avant de songer à entreprendre quelque recours que ce soit, il importe que le soumissionnaire se disant lésé s’assure que ses récriminations soient fondées et qu’il aurait dû obtenir le contrat. Lorsque c’est le cas, et qu’il n’est pas trop tard, le recours à l’injonction peut constituer un remède rudement efficace. Pensons-y un instant : il permet d’empêcher que le contrat soit octroyé à un autre soumissionnaire! Ultimement, le soumissionnaire pourrait mettre la main sur le contrat convoité. Mais attention, les cas où une telle injonction sera émise sont limités et il importe donc de bien cibler les faits reprochés à l’organisme public et de bien formuler ses demandes au tribunal, car ici aussi la marge de manœuvre est mince.

En effet, un soumissionnaire ne peut forcer par injonction un organisme public à conclure un contrat avec lui. Il peut cependant demander au tribunal d’annuler un appel d’offres ou de déclarer que sa soumission est la plus basse soumission conforme et, dans ces deux cas, demander au tribunal d’émettre une injonction pendant l’instance pour suspendre le processus d’appel d’offres. Le soumissionnaire devra donc agir vite; idéalement, avant que le contrat ne soit adjugé ou que son exécution n’ait commencé.

Les soumissionnaires doivent aussi savoir que pour obtenir une telle injonction, la jurisprudence actuelle exige que l’intégrité même du processus soit menacée. La Loi sur les contrats des organismes publics prévoit les principes directeurs suivants dans le cadre d’un processus d’appel d’offres : (1) la transparence dans le processus, (2) le traitement intègre et équitable des concurrents, et (3) la possibilité pour les concurrents qualifiés de participer aux appels d’offres. Si ces principes sont enfreints, une injonction pourrait alors être obtenue. Par exemple, si la Ville XYX viole le principe du traitement égal des soumissionnaires en permettant à certains soumissionnaires de corriger leur soumission alors qu’elle refuse à d’autres de le faire, c’est tout le processus qui est entaché. Il en va de même lorsque la Ville ne favorise pas la concurrence en lançant un appel d’offres « dirigé » dans le but d’avantager un soumissionnaire au détriment des autres. Une injonction pourrait notamment être accordée dans les cas où un accès privilégié au comité de sélection a été accordé à un soumissionnaire ou lorsque, dans un contrat à commandes (prix le plus bas), l’organisme évalue la qualité des biens sollicités.

Bien entendu, il n’y a pas de règle absolue et nombre de circonstances pourraient donner lieu à une injonction. La clé est d’agir avant qu’il ne soit trop tard et de bien formuler ses demandes.

À chaque faute, le remède approprié!

Liviu Kaufman est avocat au cabinet Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l. Il pratique dans le domaine des litiges commerciaux.