Une jeune fille déjà écorchée par la vie, avant même d’atteindre l’âge de raison. Des bandits qui se sont emparé de sa vulnérabilité pour faire d’elle un objet monnayable. Pour Maude Adam-Joly, cette jeune fille n’est pas une étrangère parmi d’autres victimes : elle a fait sa connaissance durant l’adolescence. L’injustice est tellement insoutenable qu’elle a décidé de prendre cette cause qu’est la lutte contre la traite de personnes à bras-le-corps, d’abord pour briser le silence qui en masque l’ampleur et les séquelles, mais aussi pour aider les victimes à s’extirper de cet enfer. Celle qui voulait fouler les planches a troqué l’ambition de jouer les drames pour occuper le premier rôle de juriste dans la réalité, afin que cesse cette calamité.
Portrait de la récipiendaire du Prix Étudiant – Engagement social, étudiante à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa
Même si elle affiche déjà la contenance de l’avocate en devenir, le léger trémolo dans sa voix trahit l’émotion de Maude Adam-Joly lorsqu’elle relate ce jour où elle a découvert que cette jeune fille qu’elle a jadis connue était prise dans l’engrenage de l’exploitation sexuelle. « Mon implication dans la lutte contre la traite de personnes n’était même pas une décision. C’est cette expérience personnelle qui m’a poussée à le faire ».
Elle a choisi cette triste réalité pour objet d’une présentation orale faite dans le cadre d’un travail de cégep en 2010 et l’onde de choc qu’elle a provoquée l’a incitée à se lancer dans des recherches approfondies sur la traite de personnes et la législation à ce sujet, parallèlement à la poursuite de ses études et d’expériences professionnelles liées au droit des affaires.
La jeune femme de 26 ans complètera sa licence en droit à l’été 2014. Elle n’avait pourtant jamais caressé l’envie de devenir avocate, raconte-t-elle. Elle souhaitait plutôt être comédienne et exploiter ainsi la « facette théâtrale » de sa personnalité. Son père a brandi la suggestion d’une carrière en droit… et elle a adhéré à l’idée, pour finalement conclure, après une session, que son avenir se trouvait dans cette profession…
Née dans une famille d’entrepreneurs et elle-même pourvue du bagout et des « idées de grandeur » du bâtisseur, affirme-t-elle, elle a choisi le droit des affaires, qu’elle pratiquera dans le cadre de son stage de formation professionnelle chez Lavery en 2016.
La tragédie de l’esclavage moderne n’a pendant ce temps jamais cessé de la préoccuper, au point où l’organisme Personnes en action contre la traite des personnes (PACT-Ottawa) lui a suggéré, en février 2013, de suivre une formation offerte par la Coalition outaouaise pour mettre fin à la traite de personnes et de fil en aiguille, elle est devenue chargée de projet; on lui a notamment confié le mandat d’adapter en français une formation anglaise destinée aux premiers répondants.
Elle est également membre du comité des politiques et affaires juridiques de l’organisme. « Nous surveillons ce qui se fait sur le terrain et sommes en contact avec les élus », précise l’étudiante, récipiendaire d’une bourse de la francophonie et d’une Bourse d’admission de l’Université d’Ottawa en 2010-2011 (renouvelée pour 2011-2013).
« J’ai aussi fait des patrouilles avec des policiers, à des fins de formation. Ça m’a ouvert les yeux… je n’avais jamais réalisé que l’on pouvait voir la prostitution même dans des quartiers résidentiels, en plein jour… », déplore-t-elle.
Petits pas vers la liberté
C’est au cours de cette période qu’elle a rencontré celle qu’elle considère comme son mentor : Madame Helen Roos, femme d’affaires et consultante dans le domaine de la traite de personnes et des services aux victimes, qui consacre également une part de son temps aux organismes de lutte contre la traite de personnes.
Maude Adam-Joly est également membre du conseil d’administration du Centre Espoir Sophie, à Ottawa. Il s’agit d’une halte-répit pour les femmes aux prises avec des situations difficiles liées, entre autres, à la pauvreté, la toxicomanie, la prostitution, la violence et l’itinérance.
Elle peut déjà se targuer d’être l’auteure d’une mesure bonifiant l’aide aux victimes de la traite de personnes, dans le cadre de son travail auprès de la Coalition. « J’avais constaté qu'il n'y avait pas de service d'aide aux victimes pour soumettre leur déclaration pour obtenir l’indemnisation prévue par la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels », explique-t-elle, avec des échos de fierté tempérée par la modestie dans sa voix.
Elle enchaîne en signalant qu’elle a également perçu dans la loi ontarienne des failles qui pourraient constituer un préjudice pour les victimes. Un groupe de personnes impliquées dans la lutte contre la traite de personnes (dont elle fait partie) compte évaluer la situation dans les autres provinces.
« Nous voulons aussi susciter une prise de conscience face à ce que vivent ces personnes. Viendront ensuite la mobilisation, puis l’action, les ressources et la sensibilisation des élus », affirme-t-elle.
Maude Adam-Joly n’a pas pu « sauver » la jeune femme évoquée au début de ce texte. Elle compte toutefois poursuivre sa lutte, armée de son expertise d’avocate, tout autant que de sa détermination et de la magnanimité qui l’animent, pour délivrer d’autres victimes de ce fléau, duquel des milliers de Canadiens sont prisonniers.