Associé principal au cabinet BCF à Montréal, chercheur associé à la Chaire en gouvernance et en droit des affaires de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, à la fois praticien et universitaire jouissant d’une renommée enviable au Canada et à l’étranger, Me Antoine Leduc est le nouveau président de l’ABC-Québec. Il souhaite faire apprécier à sa juste la valeur la profession d’avocat qu’il qualifie de noble et nécessaire.
Il a déjà fait sa marque au sein de l’ABC-Québec. En tant que président de sa section Faillite et insolvabilité en 2007-2008, il a organisé un colloque très prisé relativement aux scandales financiers qui ont secoué le Québec en matière de fonds communs de placements (dont les actes furent publiés chez Yvon Blais). La ministre des Finances de l’époque, madame Monique Jérôme-Forget et le président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers d’alors, monsieur Jean St-Gelais, figuraient parmi les invités prestigieux de l’événement. À titre de co-président du Comité « Législation et réforme du droit » de l’ABC-Québec de 2008 à 2013, il a en outre dirigé les travaux ayant mené à la rédaction d’un mémoire remarqué, à juste titre, relativement à l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile, qui fut présenté en commission parlementaire à l’Assemblée nationale du Québec, le 31 janvier 2012.
Question : L’un des rôles importants de l’ABC-Québec est de fournir des activités de formation de pointe et de qualité. En tant que professeur et chercheur universitaire, que souhaitez-vous apporter à ce rôle?
L’ABC est déjà reconnue pour la qualité de ses formations et de son matériel pédagogique qui comptent, il faut le dire, parmi les meilleurs et les plus accessibles sur le marché. Il nous faut donc continuer de bâtir à partir de ce contenu afin de contribuer à faire de nos membres de meilleurs avocats.
De mon côté, il s’agit vraiment d’un prolongement, d’un continuum, oserais-je dire, entre mes activités scientifiques et professionnelles. Afin de rester à la fine pointe du droit, nous devons créer de meilleurs ponts entre les mondes de la pratique et de la recherche universitaire, car le droit est une matière vivante, et les deux pôles se nourrissent.
Question : Quel rôle a joué votre mentor, le professeur Paul-André Crépeau, dans votre carrière?
Il a fait de moi le juriste que je suis, il fut un père spirituel. Il est une inspiration, tant pour sa rigueur intellectuelle, son idéalisme et sa générosité, que par le fait qu’il a toujours été au cœur des enjeux de notre société et de la pratique du droit. Je lui dois beaucoup.
La communauté juridique du Québec et à l’international, ainsi que la société en général, lui sont également redevables. Il suffit de penser à son travail acharné pour la modernisation du Code civil du Québec à l’Office de révision du Code civil ou, encore, à son œuvre de pionnier, avec Frank R. Scott et Jacques-Yvan Morin, lors de la rédaction de la Charte des droits et libertés de la personne. Ajoutons aussi, à l’international, sa contribution à l’élaboration des Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international. Enfin, monsieur Crépeau a donné à l’enseignement du droit et à la carrière universitaire en droit ses lettres de noblesse au Canada.
Question : Vous avez été conseiller pour plusieurs pays émergents dans le cadre de réformes entourant leur gouvernance et leurs institutions juridiques. Comment cela vous aidera-t-il en tant que président de l’ABC-Québec?
Le droit, disions-nous, est une matière vivante; c’est aussi un fait de société, comme disait le sociologue français Pierre Bourdieu, qui correspond aux normes que se donne une société à un moment donné de son histoire. Parfois, le droit évolue, parfois il régresse : jamais n’est-il statique.
Nous avons beaucoup à apprendre des travaux qui émanent des projets de réformes du droit dans les pays émergents car, dans bien des cas, l’État de droit et son institutionnalisation s’y dessinent sur une page blanche. Cela peut donner lieu à des innovations qui sont plus difficiles à imaginer dans nos démocraties libérales, un certain conservatisme propre au milieu juridique pouvant parfois s’ériger en rempart.
Toutefois, ce conservatisme présente aussi ses vertus : une institution doit certes évoluer pour correspondre aux besoins changeants de la société, mais le propre d’une institution consiste justement à s’élever au niveau de l’idéal à atteindre. Résister aux changements qui ne constituent que des effets de modes passagers est donc un devoir en soi, car l’État de droit dans son achèvement tel que nous le connaissons au Québec est le fruit d’une évolution séculaire, dont on ne prend pas suffisamment la mesure de nos jours. En cela, le droit comparé permet de tirer des leçons de ce qui se passe à l’étranger, que ce soit pour améliorer notre droit ou pour éviter les écueils observés ailleurs, et dont l’histoire est aussi riche d’enseignements.
L’ABC-Québec se veut la voix et le soutien des juristes au Québec. Nous avons un rôle à jouer en matière de législation et de réforme du droit, et ce, afin de défendre l’intérêt de nos membres et l’État de droit, qui vont de pair. C’est ce que l’ABC-Québec a voulu rappeler, notamment, lors de l’étude de l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile.
Ces différentes expériences dont vous parlez me seront donc précieuses dans le cadre de ce mandat qui commence à la présidence de l’ABC-Québec.
Question : Vous êtes également organiste. Quel lien faites-vous entre la musique et le droit?
Je suis originaire de Saint-Hyacinthe, ma patrie, haut lieu de la facture d’orgues dans le monde entier, et c’est pourquoi je me suis naturellement tourné vers l’orgue, une véritable passion chez-moi depuis mon plus jeune âge.
Il y a une importante tradition dans cette ville où la vénérable maison Casavant Frères fabrique ses instruments depuis 1879, son récent Opus 3900 ayant été installé dans la Maison symphonique de Montréal et inauguré au printemps dernier. Il y a un dicton qui dit : « À Saint-Hyacinthe, on fait les orgues et les organistes! », ce qui est vrai, si l’on considère que plusieurs des meilleurs organistes du Québec en sont originaires ou découlent de l’école d’orgue de monsieur Conrad Letendre : les Gaston Arel, Bernard Lagacé, Kenneth Gilbert et Raymond Daveluy, pour n’en citer que quelques-uns, furent à l’origine d’une véritable école d’orgue du Québec qui essaime partout dans le monde aujourd’hui.
En tant que musicien, je recherche l’harmonie et j’aime ce qui est ordonné, ce qui est beau et ce qui nous élève. Un avocat, au sens noble du terme, doit également tendre vers les idéaux les plus exigeants. Mais je ne fais pas exception, il y a également beaucoup d’autres juristes qui ont une passion artistique en marge de leur carrière. Et certains ont tout simplement remisé leurs toges ou rangé leurs plumes de notaires : les Normand Chouinard, Rémy Girard, François Cousineau et Victor Bouchard, pour n’en citer que quelques-uns, en sont des exemples éloquents!
Lors de mon assermentation à titre d’avocat, Me Pierre Fournier, alors Bâtonnier de Montréal, avait rappelé ces mots attribués, paraît-il, à Saint-Exupéry : « Derrière tout avocat se cache un Mozart assassiné! ». Ce à quoi je lui réponds maintenant : une vocation en cache parfois une autre mais il est possible de concilier les deux, dans l’harmonie!