Un régime de primes de rétention pour employés clés accordé dans le cadre d’un avis d’intention sous la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
Introduction
Le 17 février 2015, Groupe Bikini Village Inc. (« GBV »), l’un des plus importants détaillants de maillots de bain au Canada, a déposé un avis d’intention de faire une proposition à ses créanciers en vertu de la LFI[1]. Confrontée à de sérieuses difficultés financières, GBV a été contrainte de se placer sous la protection de la LFI, tout comme l’ont fait avant elle de nombreux autres joueurs du domaine de la vente au détail au Canada.
La restructuration de GBV a donné lieu à un jugement précurseur, en ce qu’un Régime de primes de rétention d’employés clés (« RPREC »)[2], ainsi qu’une charge prioritaire visant à garantir un tel RPREC, ont été accordés par le Tribunal au bénéfice d’une entreprise insolvable, et ce, pour une première fois sous le régime de la LFI.
Plus précisément, GBV s’est adressée à la Cour supérieure pour demander la ratification d’un RPREC à l’égard de six (6) employés jugés essentiels à la restructuration de l’entreprise[3]. Le 5 mars 2015, l’Honorable Martin Castonguay, j.c.s., a fait droit à la requête de GBV. Cette décision constitue une première dans le domaine du droit de la faillite et de l’insolvabilité, tant au Québec qu’au Canada[4].
Jugement
Au Canada, l’insolvabilité des entreprises est régie principalement par deux (2) lois distinctes, soit la LFI et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[5]. L’application de l’une ou l’autre de ces lois est fonction de la finalité recherchée par l’entreprise insolvable, certes, mais également du degré d’endettement de celle‑ci et conséquemment de sa taille, dans la mesure où la LACC s’applique uniquement aux entreprises insolvables cumulant des dettes d’un montant supérieur à cinq (5) millions de dollars[6].
Tant la LFI que la LACC sont silencieuses à l’égard de la mise en place et de la ratification d’un RPREC, de même que des charges prioritaires y afférentes. Or, bien que la ratification de tels RPREC constitue néanmoins une pratique courante dans le contexte de procédures intentées sous la LACC, il s’agit d’une pratique très peu répandue en matière de LFI.
La Cour supérieure du Québec, sous la plume du juge Castonguay, a toutefois entériné un tel RPREC ainsi qu’une charge prioritaire visant à garantir la prime de rétention de six (6) employés clés de GBV, dont l’apport était jugé indispensable au succès de la restructuration de l’entreprise.
Malgré l’absence de disposition législative à cet égard, la Cour souligne que les Tribunaux ont fréquemment permis l’établissement de RPREC et de charges prioritaires dans le contexte de procédures instituées sous la LACC, et ce, en vertu de leur pouvoir inhérent. En effet, de telles ordonnances s’arriment précisément avec l’objectif principal de la LACC, soit favoriser la restructuration des entreprises insolvables.
En outre, le Tribunal convient que le processus de restructuration en vertu de l’article 50.4 LFI est substantiellement similaire à celui de la LACC et conséquemment, que l’octroi d’un RPREC, une pratique reconnue sous le régime de la LACC, devrait également être admis en matière de LFI. En effet, au même titre que sous la LACC, l’établissement d’un RPREC s’inscrit dans un objectif de réhabilitation financière poursuivi par les entreprises en difficultés qui se doivent d’être en mesure de conserver à leur emploi les employés dont l’implication est essentielle à la restructuration de l’entreprise, pendant que celle-ci déploie tous ses efforts à la mise en œuvre d’un plan de restructuration et à une proposition à être soumise à ses créanciers.
Dans le contexte où une entreprise insolvable poursuit un tel processus de restructuration, dont l’objectif ultime est de présenter une proposition à ses créanciers, la finalité et les buts recherchés par la LACC et la LFI commandent l’application du principe de l’harmonisation de ces deux lois. Le juge Castonguay souligne à cet égard les propos tenus par le juge Geoffrey B. Morawetz j.c.s. dans l’affaire Kitchener Frame Limited (Re)[7] :
« [47] Moreover, the statutes which deal with the same subject matter are to be interpreted with the presumption of harmony, coherence and consistency. See NAV Canada c. Wilmington Trust Co., 2006 SCC 24 (CanLII). This principle militates in favour of adopting an interpretation of the BIA that is harmonious, to the greatest extent possible, with the interpretation that has been given to the CCAA.
[…]
[73] I also accept that if s. 62(3) of the BIA is interpreted as a prohibition against including the third-party release in the BIA proposal, the BIA and the CCAA would be in clear disharmony on this point. An interpretation of the BIA which leads to a result that is different from the CCAA should only be adopted pursuant to clear statutory language which, in my view, is not present in the BIA. »
Dès lors, le Tribunal résume en ces termes la question sous étude : « Peut-on harmoniser, par une ordonnance en vertu de la LFI, des pouvoirs, maintes fois accordés dans le cadre de la LACC mais qui le furent par l’exercice des pouvoirs inhérents du Tribunal »[8]. Pour les motifs que nous proposons de résumer ci-après, le juge Castonguay y répond par l’affirmative.
D’une part, la Cour note que la LFI ne contient aucune disposition interdisant l’établissement d’un RPREC et conséquemment, l’article 3 des Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité permettant l’usage du droit commun à titre supplétif trouve application.
D’autre part, le Code de procédure civile et, plus particulièrement, son article 46, confère à la Cour supérieure du Québec les pouvoirs inhérents qui sont nécessaires à l’exercice de sa compétence. Dans l’arrêt Les Meubles Poitras (2002) inc.[9], la Cour d’appel du Québec a d’ailleurs reconnu l’existence du pouvoir inhérent de la Cour supérieure du Québec dans le cadre de l’application de la LFI :
« [13] Dès lors, la Cour supérieure n’est pas dépourvue de ses pouvoirs inhérents, à titre de tribunal de droit commun, lorsqu’elle exerce sa compétence en matière de faillite et d’insolvabilité. Bien que l’exercice de ceux-ci ne soit pas sans limites en ce que la LFI doit primer (limites sur lesquelles il n’est pas nécessaire de se prononcer en l’instance), elle possède le pouvoir de suspendre les procédures dont elle est saisie, si elle conclut qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. Ce pouvoir inhérent est lié au processus judiciaire et doit être exercé en tenant compte des objectifs et des particularités propres à la LFI. »
Il appert donc que la Cour supérieure du Québec est habilitée à invoquer sa compétence inhérente afin de rendre une ordonnance qu’elle estime juste et appropriée dans les circonstances, dans la mesure où celle-ci est compatible avec l’esprit de la LFI. Ainsi, le juge Castonguay conclut que ce pouvoir inhérent lui permet d’accorder le RPREC recherché par GBV, de même que la charge prioritaire qui y est assortie, le tout afin de garantir le paiement des primes de rétention de certains employés clés de l’entreprise.
Invoquant un souci d’harmonisation et suivant les enseignements du juge Morawetz dans l’affaire Kitchener précitée, la Cour note qu’il convient d’importer sous la LFI, avec les adaptations nécessaires, les principes développés sous le régime de la LACC quant à l’appréciation par le Tribunal de l’opportunité d’accorder un RPREC.
Ainsi, le maintien des employés clés par le biais d’un RPREC doit avoir une incidence directe sur la possibilité de présenter une proposition viable aux créanciers ou sur la bonification d’une telle proposition. Il importe également pour le Tribunal d’évaluer le rapport coût-bénéfice associé à l’établissement du RPREC, notamment en fonction de la pérennité des emplois de l’entreprise, mais également des droits de ses créanciers.
Dans le cas de GBV, le Tribunal conclut que les six (6) employés visés par le RPREC occupaient effectivement une position clé au sein de l’entreprise et que leur maintien était essentiel afin de bonifier une éventuelle proposition à être soumise aux créanciers de GBV. Le juge Castonguay conclut également que le maintien de ces employés clés au sein de l’entreprise est indispensable du point de vue de tout investisseur ou acheteur potentiel, permettant ainsi d’assurer la pérennité des quelques 400 employés de GBV.
Au surplus, soulignant que le montant recherché par GBV à titre de charge prioritaire pour garantir le RPREC (179 913,00 $) s’avère négligeable eu égard au montant total des dettes garanties (environ 2 390 000,00 $) et non garanties (environ 6 688 000,00 $) accumulées par GBV, le Tribunal note par ailleurs que « le montant du Plan de rétention [RPREC] est somme toute minime en regard de la contribution que peuvent apporter les employés visés à la relance de l’entreprise »[10].
Il sera donc fort intéressant de voir le traitement jurisprudentiel qui sera réservé à ce jugement novateur de la Cour, qui cristallise la possibilité pour une compagnie ayant requis la protection de la LFI de bénéficier d’un outil supplémentaire qui peut s’avérer crucial dans le succès de sa restructuration.
[1] Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (ci-après la « LFI »).
[2] En anglais, l’expression « Key Employee Retention Plan » et son acronyme « KERP » sont fréquemment employés dans la jurisprudence.
[3] Motion for the issuance of an order for an administrative charge, a directors and officers charge, a key employee retention program pursuant to sections 64.1 and 64.2 of the Bankruptcy and Insolvency Act and other remedies.
[4] Tel que souligné par la Cour, les Tribunaux ne se sont pratiquement pas penchés sur cette question. Voir ordonnance non motivée rendue par la Cour supérieure de l’Ontario dans In the Matter of the Notice of Intention to Make a Proposal of XS Cargo Limited Partnership, Court File No. 32-1896275 (C.S. Ont.). Voir également l’ordonnance rendue par la Cour supérieure de l’Ontario dans In the Matter of the Notice of Intention of Starfield Resources Inc., Court File CV13-10034-00CL (C.S. Ont.), par. 10, dans le cadre de laquelle le Tribunal approuve le versement de paiements mensuels visant la rétention d’employés clés, mais sans accorder de charge prioritaire à cet effet.
[5] Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (ci-après la « LACC »)
[6] Art. 3 LACC
[7] Kitchener Frame Limited (Re), 2012 ONSC 234 (C.S. Ont.) (« Kitchener »)
[8] Par. 14
[9] Meubles Poitras (2002) inc. (Syndic de), 2013 QCCA 1671 (C.A. Qc.)
[10] Par. 29