Ce texte a été écrit par un être humain.
« So-yez les bien-ve-nus ! », disait le robot de sa voix saccadée de crécelle fêlée. Ça ne vous dit rien ? C’est très possible. Mais pour bien des gens de ma génération, cette phrase évoque le précieux souvenir d’une série pour enfant des années 60 : Fusée XL5[i]. Cette émission futuriste de marionnettes animées mettait en scène des astronautes patrouillant le cosmos à bord d’une fusée dont le copilote était un robot humanoïde. Le petit garçon que j’étais s’animait en le voyant piloter la fusée, tout en se disant au fond qu’il ne verrait jamais le jour où de pareils prodiges se produiraient vraiment.
Mais, comme vous vous en doutez, la réalité a ici encore rejoint la fiction. L’augmentation prodigieuse de la puissance des ordinateurs modernes et l’avancement fulgurant de la technologie nous ont déjà propulsés, pour le meilleur ou pour le pire, dans l’ère de l’intelligence artificielle.
Mais n’est-ce pas la suite logique de la révolution technologique provoquée par l’informatique? Après avoir vu l’éclosion de puissants ordinateurs décuplant notre productivité, pourquoi ne pas augmenter leur puissance et leur autonomie au point de leur permettre de carrément nous remplacer? Ce serait bien mal connaître l’animal humain et son besoin viscéral de dépasser, quitte à se perdre, toutes les limites techniques qui se posent à lui. Parlez-en aux descendants des victimes des bombes du projet Manhattan.
Alors nous voici donc aux portes d’un bouleversement majeur pour l’humanité, celui qui verra l’avènement de l’intelligence artificielle, ou I.A. Les signes ne manquent pas, et le nombre grandissant de nouvelles traitant de sujets reliés à ce domaine est, à ce chapitre, très évocateur. Il y a d’ailleurs de fortes chances que vous ayez déjà accès à un de ses premiers balbutiements, Siri, l’assistante personnelle virtuelle des appareils Apple, ou Cortana, sa petite cousine chez Microsoft. Ce type de système fait partie de la catégorie des chatbots, ou « agent conversationnel » selon la traduction française proposée par l’Office de la langue française.
Pourquoi pas une petite montée de lait en passant?
D’ailleurs pourquoi faut-il que les traductions françaises des mots de l’univers technologique soient toujours aussi ennuyantes et banales? Mis à part le coup de circuit qu’à constitué l’arrivée du mot « courriel » ou le très beau coup réalisé avec « clavardage », il faut reconnaître que les traductions proposées n’ont pas fait grand-chose pour nous enlever l’habitude d’utiliser les termes anglais! Pourquoi pas « clavordi », ou « clavarbot », puisque « robot » est aussi un mot français au lieu d’un beige et peu attrayant « agent conversationnel »? Un petit effort, et un peu d’imagination, s’il-vous-plaît! La modernisation de la langue ne se limite pas à abolir les accents circonflexes ou à permettre des insanités comme « iglou » ou « ognon » pour faire monter les moyennes dans la correction des dictées! Alors en attendant mieux, j’utiliserai donc « chatbot » ou, pourquoi pas, « clavordi » que je trouve assez joli. Et vlan dans les palettes pour l’Office.
Behhhhh!
Mais revenons à nos moutons. Un « chatbot » est un logiciel dont la fonction est de discuter en ligne avec un utilisateur et de répondre à ses questions, tout comme un humain le ferait. Ces systèmes combinant les sciences linguistique, psychologique et informatique, sont inspirés du célèbre test de Turing[ii] qui proposait des balises pour évaluer une intelligence artificielle. Ils fonctionnent en détectant les mots clés utilisés par l’interlocuteur humain pour deviner le sens de son intervention et lui répondre. Siri ou Cortana, par exemple, servent à répondre aux questions des utilisateurs des ordinateurs qui les leur posent.
SimSimi constitue un autre « clavordi » très en vogue ces temps-ci. Cette application gratuite est disponible sur iPhone ou Android, et ne propose que des discussions ludiques. Sa particularité est de s’enrichir des réponses ou programmations de tous ses utilisateurs, ce qui peut provoquer des réponses franchement surprenantes, d’où sa popularité.
Ces systèmes ont évolué de manière stupéfiante au cours des dernières années, mais ne sont toujours pas tout à fait au point. Microsoft a par exemple dû débrancher Tay, un de ses « chatbots », censé personnifier une jeune femme de 19 ans et assurer une présence de l’entreprise sur Twitter et d’autres réseaux sociaux. Or sa capacité de s’inspirer sans aucun filtre des discussions menées avec ses interlocuteurs pour alimenter sa base de données de conversation a inspiré des malins à la programmer à tenir des propos offensants. Pourquoi? Mais pour le plaisir voyons!
Elle aura ainsi tenu des propos du genre : « Bush a provoqué le 11 septembre » ou « Hitler aurait fait un meilleur boulot que les singes actuels au pouvoir »[iii]. Le cas de Tay s’est donc illico retrouvé sur le bureau de l’équipe de gestion de crise de Microsoft, qui a immédiatement présenté des excuses publiques et mis la coupable « hors ligne pour réparations » avant qu’elle n’ait le temps d’aller se réfugier en Floride sur le coup de la colère.
De tels événements sont à peu près inévitables dans l’évolution d’une technologie aussi complexe. Tay restera probablement célèbre à sa manière, car on peut parier qu’elle rappellera à tous les programmeurs de « clavordis » de ne jamais oublier d’installer des filtres appropriés pour éviter la répétition de sa mésaventure.
Des robots qui conduisent, voient et écrivent!
L’intelligence artificielle fait aussi d’immenses progrès dans d’autres domaines, comme l’automobile, la traduction en ligne ou la reconnaissance d’images. Dans ce dernier cas, c’est Facebook qui, sans grande surprise, fait figure de précurseur en testant un logiciel offrant une description vocale de photographies à l’intention des non-voyants[iv]. Compatible avec les logiciels spécialisés créés à l’intention de cette clientèle et leur permettant d’entendre une lecture automatisée du texte apparaissant à leur écran, le système Facebook « lit » une photographie à la recherche d’éléments visuels qui lui sont familiers. Elle génère par la suite une description vocale automatisée du résultat, enrichie des informations disponibles sur la page où elle se trouve. Une voix automatisée pourrait ainsi dire au visiteur une phrase du genre : « Image de Bertrand Salvas faisant du patin à roues alignées sur la Grande Muraille de Chine » pour lui décrire l’image, en tirant mon nom de l’étiquette apposée à la photo et en reconnaissant l’activité de patinage et le lieu où elle se déroule. Cette fonctionnalité est déjà en fonction pour les « Facebookiens » de cinq régions (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) utilisant les tablettes et téléphones Apple. La reconnaissance faciale automatique est d’ailleurs une forme d’I.A. déjà utilisée à très grande échelle par Facebook depuis des années, à l’instar des forces policières qui utilisent cette technologie pour retracer des criminels à partir d’images de caméras de surveillance. Bonjour Big Brother! Comment vas-tu!
Et que dire des « voitures autonomes » qui peuvent déjà vous amener à destination sans aucune intervention de votre part[v]? Mes enfants risquent de faire un jour face au scepticisme de leurs propres enfants quand ils leur diront que leur père conduisait lui-même sa voiture quand ils étaient petits! D’ailleurs, n’avez-vous pas remarqué la présence de plus en plus ostensible d’éléments informatiques dans les voitures? L’intégration des deux domaines, automobile et informatique, est déjà en marche depuis longtemps et aboutira logiquement au remplacement du conducteur par un ordinateur dans très peu de temps. Seule la réglementation en vigueur retarderait présentement la chose.
Et saviez-vous aussi que de nombreux textes que vous lisez actuellement dans les journaux sont écrits par des ordinateurs[vi]? En 2014, Associated Press fournissait déjà plus de douze mille dépêches rédigées par son système de robojournalisme Wordsmith[vii]. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg. Verrons-nous un jour l’arrivée de logiciels de rédaction de contrats ou autres documents juridiques faire notre travail à notre place? Des systèmes experts de raisonnement juridique automatique existent déjà depuis longtemps, alors pourquoi pas la fourniture des services elle-même? Les métiers d’opérateur de centre d’appel, de chauffeurs de taxi, de camionneur ou de journaliste sont déjà menacés, nous l’avons vu. Donc…
Nous n’en sommes certainement pas encore là, bien que la façon de pratiquer de certains collègues se prêterait certainement à une application automatique et aveugle… (ce n’est pas un compliment). Personnellement, je préfère croire que le contact personnel et le conseil juridique rendu par un humain capable, non seulement de raisonnement, mais d’empathie et de compréhension, ne pourra jamais être remplacé par un ordinateur. En tout cas, si jamais je m’achète un jour un véhicule autonome, je le programmerai certainement pour qu’il m’accueille par un nostalgique : « So-yez les bien-ve-nus ! »
À la prochaine!
Collaboration de :
[i] https://www.youtube.com/watch?v=2d42UNPcYak
[ii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Turing
[iii] Bush a provoqué le 9/11 et qu’Hitler aurait fait un meilleur boulot que les singes actuels au pouvoir
[iv] « L'intelligence artificielle vient en aide aux malvoyants sur Facebook », La Presse, 5 avril 2016.
[v] Les voitures sans conducteur bientôt sur nos routes?
[vi] « Les robots d'Associated Press ont écrit leurs premiers articles », Le Figaro, 21 juillet 2014.
[vii] http://automatedinsights.com/wp-content/uploads/NT_AutomatedInsights.pdf