L’auteure remercie Me Charles-David Bédard Désîlet pour son aide à la rédaction du présent article.
On apprenait récemment que la Ligue de hockey junior majeur du Québec (ci-après « LHJMQ ») réclame une modification à la Loi sur les normes du travail[1] (ci-après « LNT ») afin que les joueurs évoluant au sein de ses différentes franchises soient exclus de l’application de la Loi. La Ministre du travail annonçait que le Gouvernement répondrait favorablement à cette demande.
Si le législateur procédait effectivement à un tel amendement à la LNT, quelles seraient les conséquences pratiques de ce changement législatif?
La LNT contient des normes minimales d’emploi qui sont d'ordre public. Le salarié qui est visé par cette loi doit obligatoirement bénéficier de conditions de travail qui respectent ces normes minimales et une disposition d’un contrat de travail qui y déroge est nulle de nullité absolue[2]. Ainsi, un salarié ne peut renoncer aux bénéfices de la loi.
Au sens de la LNT, le salarié est défini comme "Une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire (…) ». À cette définition s’ajoute des éléments permettant d’y inclure l’entrepreneur dépendant[3].
Certaines personnes qui seraient normalement couvertes par la notion de salarié sont toutefois spécifiquement exclues de l'application de la LNT, alors que d’autres sont excluent du bénéfice de certaines dispositions seulement[4].
À titre d’exemple, l’étudiant qui, au cours de l’année scolaire, travaille dans un établissement choisi par un établissement d’enseignement, et ce, en vertu d’un programme d’initiation au travail approuvé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport ou par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie est totalement exclu de l’application de la LNT[5]. Quant au cadre supérieur, il est exclu de la plupart des normes, sauf quelques exceptions[6] telles que les normes concernant la protection à l’encontre du harcèlement psychologique et la mise à la retraite forcée, pour ne nommer que celles-là.
C’est plus précisément dans le chapitre IV de la LNT que se déclinent les différentes normes minimales du travail. Ce chapitre est divisé en plusieurs sections qui prévoient les normes telles que le salaire, la durée du travail, les jours fériés, chômés et payés, les congés annuels payés, les périodes de repos, les absences pour différentes causes comme la maladie, les raisons familiales ou parentales, les mesures de protection en matière de harcèlement psychologique, l’avis de cessation d’emploi ou de mise à pied, la retraite, le travail des enfants, et d’autres normes diverses comme les vêtements de travail.
La demande de la LHJMQ n’est certainement pas étrangère aux requêtes pour autorisation d’exercer un recours collectif[7] déposées en octobre 2014 contre la Ligue canadienne de Hockey (ci-après « LCH ») et la LHJMQ[8].
Les requêtes en question qui visent à obtenir une compensation financière pour le bénéfice de joueurs ayant évolué au sein des trois ligues que regroupe la LCH. Ce qui est particulièrement visé par ces requêtes, c’est l’obtention d’une compensation pour le paiement du salaire minimum, des congés fériés, des congés annuels et du temps supplémentaire dont les joueurs concernés auraient pu bénéficier le temps où ils jouaient au sein de l’une des équipes regroupées au sein de la LCH[9]. Il est en effet allégué que les équipes et les joueurs seraient liés par une relation employeur-employé. Toujours selon la procédure déposée, les joueurs consacreraient en moyenne 35 à 40 heures par semaine et même dans certains cas 65 heures par semaine, à leur équipe respective, que ce soit pour des entraînements, des parties ou des activités de relations publiques[10]. Comme les joueurs reçoivent un montant d’argent sur une base hebdomadaire, la procédure invoque que cette façon de faire irait à l’encontre du droit des joueurs de recevoir une rémunération horaire, basée sur le salaire minimum, le paiement des congés fériés, vacances annuelles et temps supplémentaire.
À l’heure actuelle, les joueurs de 16 à 19 ans reçoivent un montant de 60 $ par semaine, alors que les joueurs de 20 ans reçoivent 150 $ par semaine. Le coût de leur hébergement, de leur nourriture et de leur équipement de hockey sont assumés par les équipes. Les frais de scolarité sont aussi payés par ces mêmes équipes et, selon certaines conditions, les joueurs peuvent aussi bénéficier de bourses pour des études supérieures.
À l’heure actuelle, la LHJMQ ne reconnait pas que la LNT s’applique aux joueurs. La ligue allègue que les joueurs sont des étudiants et non pas des salariés au sens de la Loi. Pour réclamer un amendement à la LNT, on invoque que, si la LNT devait s’appliquer aux joueurs, l’impact financier serait majeur, ce qui pourrait mettre en péril la viabilité de certaines équipes.
À l’heure actuelle, les impacts de l’exclusion éventuelle de la LNT des joueurs qui œuvrent dans une équipe de la LHJMQ est plutôt théorique puisque dans les faits, les équipes n’appliquent pas de toute façon la LNT dans les relations qu’ils entretiennent avec leurs joueurs. Les joueurs ne sont pas rémunérés en fonction des dispositions prévues à la LNT. Toutefois, le fait d'exclure les joueurs de LHJMQ de l'application de la LNT aurait donc comme impact direct de les soustraire définitivement, du moins pour l’avenir, du bénéfice de certaines normes minimales du travail.
À titre d’exemple, en plus du paiement du salaire minimum, qui aurait nécessairement comme effet d’accorder aux joueurs une rémunération plus importante que celle qu’ils reçoivent présentement, on peut penser à l’impact du bénéfice de la semaine normale de travail. Aux fins du calcul des heures supplémentaires, la semaine normale de travail est de 40 heures[11]. Au-delà de ces quarante heures, le taux horaire doit être majoré de 50 % du salaire horaire habituel[12]. Dans le calcul des heures travaillées, on doit prendre en compte le temps d’un déplacement qui est exigé par l’employeur[13]. Quand on pense que les équipes du circuit sont répartis sur un très vaste territoire allant de l’Abitibi jusqu’à St-Jean Terre-Neuve, on comprend aisément que le fait de devoir rémunérer les joueurs pour le temps de déplacement, parfois en temps supplémentaire, impliquerait une rémunération beaucoup plus importante que les montants actuellement accordés aux joueurs.
Ainsi, ce qui semble être davantage la préoccupation première des équipes de la LHJMQ se rapporte au fait que l’application de la LNT à leur égard aurait évidemment un impact financier important. Le débat porte toutefois peu sur les autres mesures prévues à la LNT, telles que les protections à l’encontre du harcèlement psychologique ou d’un congédiement sans cause juste et suffisante. Concrètement, cela signifierait qu’un joueur pourrait déposer une plainte à l’encontre de employeur, ici l’équipe, s’il allègue par exemple être victime de harcèlement de la part de son entraîneur. Il pourrait également déposer une plainte si, après deux années au sein de l’équipe, il est remercié de ses services.
Bref, la modification législative anticipée aurait assurément comme impact de priver les joueurs d’invoquer les bénéfices de la LNT pour l’avenir et rencontrerait la demande de la LHJMQ qui invoque essentiellement des arguments financiers pour demander l’exclusion des joueurs de la protection de la loi.
On peut par ailleurs se questionner sur les impacts collatéraux de cet amendement législatif. En effet, quelle incidence un tel changement à la loi aurait-il sur le recours actuellement pendant devant les tribunaux? Par ailleurs, cette exclusion remettrait-elle en cause le fait que les sommes que reçoivent les joueurs ont été considérées comme des gains assurables aux fins de la Loi sur l’assurance emploi[14]? Cette exclusion aurait-elle un impact sur la possibilité des joueurs de se voir reconnaitre le statut de salarié au sens du Code du travail[15] afin de permettre leur syndicalisation? Ces questions demeurent ouvertes et il sera intéressant de suivre les prochains développements.
[1] RLRQ, c. N-1.1.
[2] Art. 93 LNT.
[3] Art. 1 (10) LNT Nathalie-Anne BÉLIVEAU, Les normes du travail, 2e éditions, 2011, Les Éditions Yvon Blais, Montréal, 2011, p. 37.
[4] Art. 3 et 3.1 LNT.
[5] Art. 3 (5) LNT.
[6] Art. 3 (6) et Art. 3.1 LNT.
[7] Maintenant désignée sous « action collective » depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01.
[8] 500-06-000716-148 ci-après « requête »
[9] Par. 57 à 62. de la requête.
[10] Par. 32. de la requête.
[11] Art. 52. LNT.
[12] Art. 55 LNT.
[13] Art. 57 (3) LNT.
[14] L.C. 1996, ch. 23. Voir McCrimmon Holdings v. Canada (Minister of National Revenue – M.N.R.) [2000] T.C.J. No 823.
[15] RLRQ, c. C-27.