Dans le cadre de la campagne électorale au Bâtonnat, l’ABC-Québec a demandé à tous les candidats au poste de Bâtonnier de se prononcer sur trois thèmes en lien avec les préoccupations de l’Association et de ses membres.
Thème 1 : La formation des avocats et l’accès à la profession
Pensez-vous que l’École du Barreau s’acquitte de sa mission en assurant la meilleure formation qui soit à ses étudiants ou y aurait-il lieu de revoir le programme actuel, par exemple en exigeant un profil de cours obligatoire avant l’admission relativement aux cours qu’il faudrait avoir suivis à l’université au préalable, et, à terme, de contingenter l’accès à la profession comme le suggère le Jeune Barreau de Montréal?
Réponse de Me Paul-Matthieu Grondin
Au sujet de l’école du Barreau, j’avais publié ce texte sur Facebook :
« Je veux une Nouvelle École du Barreau.
Qu'elle soit pratique pour vrai.
Qu'on ne donne plus les cours magistraux actuels.
Qu'on prenne pour acquis qu'il ne faille pas répéter la formation sur le droit appris à l'université.
Qu'on accepte qu'un baccalauréat en droit de McGill, de Sherbrooke, de Laval, de l'UQAM, d'Ottawa et de l'UdeM soit gage des connaissances de l'étudiant.
Que les étudiants de la Nouvelle École ne soient plus réunis dans des classes, mais dans une clinique et qu'ils soient supervisés par ceux qui étaient alors les chargés de cours.
Que ces étudiants rendent un service à la population.
Qu'ils rencontrent des clients qui ne seraient pas autrement desservis.
Qu'ils rédigent de réels avis, contrats et conventions d'actionnaires pour de réels clients.
Qu'ils rédigent des procédures pour ces clients.
Qu'ils fassent des représentations devant les tribunaux si le temps ou le quotidien d'un dossier le leur permet.
Qu'il leur soit enseigné la déontologie à même les dossiers traités.
Qu'ils développent ces habiletés pratiques dont le côté humain de la rencontre client.
Que cette formation dure un an.
Qu'une partie de six mois de cette formation puisse être remplacée par le stage traditionnel tel qu'on le connait à l'heure actuelle, dans la mesure où l'étudiant s'en trouve un, ce qui est souhaitable.
Qu'on n'impose pas aux étudiants d'acheter la collection de droit format papier, qui est disponible sur Internet.
Que les étudiants soient évalués au mérite de leur travail et dans des entrevues, comme ce sera le cas dans leur future carrière.
Que le Comité de formation professionnelle soit au cœur de cette réforme majeure.
Qu'une Nouvelle École naisse.
Que nous poursuivions une réelle révolution tranquille au Barreau du Québec.
C'est la proposition 9 de notre programme complet. »
Quant au contingentement, j’y suis philosophiquement opposé. Cela dit, il importe dédramatiser la chose. Ce n’est pas vrai qu’actuellement, c’est le « libre marché ». Il y a un contingentement à l’entrée de l’université (où parfois seul un étudiant sur 5 est admis) et un contingentement à la sortie de l’École du Barreau où, bon an mal an, 20 % des étudiants échouent. Le Barreau lui-même est un ordre professionnel, soit un organisme… de réglementation d’accès à la profession! Je suis donc prêt à une réelle conversation sur le sujet.
Réponse de Me Lu Chan Khuong, Ad. E, MBA, Adm. A.
J’ai siégé sur le conseil d’administration de l’École du Barreau, le « CFP », en tant qu’administratrice. J’y ai même agi à titre de vice-présidente. J’y ai enseigné le droit administratif et constitutionnel ainsi que le droit des affaires. J’ai également œuvré à titre de correctrice pour ce dernier bloc. Au printemps 2015, le CFP a amorcé ses travaux en vue d’une réforme en profondeur; j’étais alors vice-présidente du Barreau du Québec. Déjà, nous étions conscients que des changements s’imposaient.
Je ne crois pas qu’il faille contingenter à l’École du Barreau. J’estime que cet exercice doit se faire en amont soit lors des études à la faculté de droit et non à la fin du processus de formation. Il faut expliquer aux étudiants la réalité de la profession. Certains pourraient opter d’eux-mêmes pour une réorientation professionnelle.
Il faut rompre avec l’idée d’un modèle unique de réussite. Le droit ouvre plusieurs portes. L’intelligence artificielle ainsi que la mondialisation nous poussent vers une façon différente de pratiquer, vers des domaines autrefois inexplorés. Il faut valoriser ces nouveaux champs et soutenir les avocats qui souhaitent s’y aventurer. Les avocats sont aujourd’hui plaideurs, enseignants, gestionnaires, auteurs, entrepreneurs, juristes de l’État, procureurs aux poursuites criminelles et pénales, décideurs et juges administratifs. Il n’y a pas trop d’avocats. Il y a peut-être trop d’avocats dans le même secteur. Explorons de nouveaux horizons.
L’École du Barreau doit offrir une formation qui permettra aux futurs avocats de compléter leur parcours académique. Le savoir en droit doit être enseigné à la faculté tandis que le savoir-être et le savoir-faire doivent être peaufinés à l’École. En effet, celle-ci doit offrir notamment des cours en entrepreneuriat, en intelligence émotionnelle et en communication média. Tout futur avocat doit être assez autonome et compétent pour ouvrir et exploiter seul son propre cabinet.
À l’École du Barreau, il faut cesser de materner les jeunes. La présence aux cours doit être optionnelle. Il faut prendre le virage technologique, offrir des cours en ligne et/ou virtuels et rendre facultatif l’achat de documentation sur support papier. Toutes ces mesures faciliteraient l’apprentissage et réduiraient les coûts d’exploitation de l’École.
Thème 2 : Le rôle du Barreau du Québec en matière de formation continue
Quel devrait être le rôle du Barreau du Québec en matière de formation continue? Ne devrait-il pas se concentrer davantage sur son rôle d’accréditation plutôt que de dispensateur? Ne devrait-il pas se concentrer sur les cours d’éthique professionnelle et le code de déontologie et laisser le reste à la libre entreprise?
Afin d’être reconnus par le Barreau du Québec comme dispensateur de formation, les dispensateurs doivent verser une somme d’argent correspondant au nombre d’heures de formation qu’ils offrent sur une période de deux ans. Pourquoi le Barreau du Québec est-il le seul au Canada à réclamer des frais alors que tous les coûts de développement et de logistique sont assumés par le dispensateur?
Réponse de Me Paul-Matthieu Grondin
Je crois que les avocats devraient être formés le plus possible et de la façon la plus diversifiée possible. L’ABC offre une excellente fourchette de formations, et c’est tant mieux. Je ne vois pas le Barreau se retirer de l’offre de formation à court terme, pour être très honnête. Je crois que la formation est une question primordiale de protection du public et qu’elle doit occuper le Barreau. Est-ce son rôle de l’offrir? Pas nécessairement. Mais c’est certainement son rôle de l’accréditer, et c’est aussi c’est son rôle de veiller à ce que l’offre soit adéquate ou d’y pallier. Quant aux frais de la dispense, je suis d’accord, ils n’ont pas lieu d’être.
Réponse de Me Lu Chan Khuong, Ad. E, MBA, Adm. A.
La mission première du Barreau du Québec est la protection du public. Ainsi, nous avons fait le choix de rendre obligatoire un certain nombre d’heures de formation, soit 30 sur une période de deux ans.
En 2015, lors d’un débat organisé par l’ABC-Québec, j’ai répondu à cette question. Ma position n’a pas changé : je crois que le Barreau doit se recentrer sur sa mission principale et laisser le soin de dispenser les cours à d’autres. Afin d’atteindre l’objectif de protéger les citoyens, le Barreau doit s’assurer de la plus haute compétence de ses membres en matière d’éthique et de déontologie. Ce n’est pas dans la mission du Barreau que de gérer les offres de formation dans les autres secteurs.
Thème 3 : Le rôle du Barreau du Québec en matière de défense de la primauté du droit
Comment expliquer que le Barreau du Québec ait étendu sa mission de la protection du public au développement professionnel et économique des avocats? Partout ailleurs au Canada, ces fonctions sont dévolues à des associations, dont principalement l’ABC. Ne croyez-vous pas que le Barreau devrait se recentrer sur sa mission d’inspection professionnelle et d’application des règles déontologiques?
Quelle est alors la place d’une association professionnelle comme l’ABC pour le Barreau du Québec? Pourrait-on envisager des partenariats entre le Barreau du Québec et l’ABC-Québec, entre autres en ce qui concerne la formation et la défense de la primauté du droit?
Compte tenu de ce qui précède, que pensez-vous des discussions actuelles quant à la création d’une nouvelle association juridique regroupant tous les avocats du Québec?
Réponse de Me Paul-Matthieu Grondin
Je crois que le Barreau devrait éviter de s’interposer dans nos débats de société, ça, c’est clair. La « primauté du droit » a parfois le dos large quand il est question d’intervention du Barreau. Je suis d’accord pour une définition moins libérale de « la primauté du droit » en ce qui a trait aux interventions du Barreau. Oui, ces interventions devraient être le rôle d’une association. Est-ce que ça devrait être le rôle de l’ABC? C’est à l’ABC de le décider. C’est elle qui peut s’imposer ou non. Le Barreau peut laisser le champ libre, mais ne peut pas « garantir » à l’ABC que c’est elle qui l’occuperait. Ce rôle incombe à l’ABC. Les associations déclarent, revendiquent, expliquent, font du lobby et occupent l’espace médiatique. C’est à chacune des associations de décider, selon leur mission, comment elles veulent se faire connaître.
Par ailleurs, je connais très bien les défis de l’ABC - j’ai siégé au conseil exécutif de l’ABC-Québec. Quant à de possibles partenariats, je serai tout ouïe comme bâtonnier.
Réponse de Me Lu Chan Khuong, Ad. E, MBA, Adm. A.
En 2015, j’avais été élue avec un programme en quatre axes dont celui intitulé « Pour une mission claire ». Pour moi, la mission principale du Barreau demeure incomprise par les citoyens et par maints avocats. Lorsqu’un individu porte plainte au bureau de syndic contre un avocat qu’il croit fautif, il estime souvent que le Syndic protège l’avocat à outrance. Dans ce même scénario, l’avocat concerné croit que le Syndic ne le protège pas malgré qu’il ait payé sa cotisation. Il faut, une fois pour toutes, clarifier cette situation. Encore une fois, le Barreau doit se recentrer sur sa mission et l’exprimer clairement : en matière déontologique, le syndic n’a qu’un client, le citoyen.
Le Barreau ne doit pas obliger ses membres à adhérer à une association ou fédération d’avocats. Cette décision revient aux membres seuls. L’ABC est un partenaire important et occupe une place de choix parmi les intervenants du système de justice. Son président prend la parole lors des assermentations de la magistrature et un de ses membres siège sur le comité de nomination des juges au niveau fédéral. Les formations offertes par l’ABC portent sur des sujets pointus et d’actualité. Elles sont données par des avocats spécialisés, des sommités dans leur domaine. Le Barreau devrait encourager ses membres à suivre ces formations afin de parfaire leurs connaissances. Le Barreau et l’ABC ne desservent pas la même clientèle puisqu’ils n’ont pas la même mission. Ils devraient travailler en partenariat et non en concurrence.
Déjà au printemps 2015, l’Association des avocats et avocates de province envisageait la création d’une association regroupant tous les avocats du Québec. À quand la création d’une nouvelle association juridique? Ce n’est pas au Barreau d’encourager ou de proscrire une telle initiative. C’est le marché de l’offre et de la demande qui déterminera la viabilité de cette nouvelle organisation.