Le 24 mai dernier, Me Yves Lauzon et Me Christine Carron ont présenté une conférence portant sur les moyens préliminaires et les incidents dans le cadre d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective.
D’entrée de jeu, Me Lauzon et Me Carron ont convenu que, malgré les divergences entre la demande et la défense, notre système contradictoire l’y obligeant, il est nécessaire de conduire les procédures menant à l’autorisation en gardant à l’esprit les principes de coopération, de transparence, de proportionnalité et de saine gestion de l’instance que propose le Code de procédure civile.
Au sujet des moyens préliminaires, Me Lauzon a soulevé le fait qu’il existe toujours une tension quant au moment où ceux-ci doivent être plaidés. Afin de déterminer l’opportunité de plaider le moyen préliminaire avant ou au stade de l’autorisation, Me Lauzon a rappelé les principes énoncés dans les arrêts Thompson[1] et Pharmascience[2]. C’est ainsi qu’il a expliqué que les demandes relatives à la litispendance, à la chose jugée et à l’absence de juridiction peuvent être plaidées avant l’autorisation tandis que les demandes de précisions, d’amendements, de radiation d’allégations et de rejet de pièces doivent plutôt être plaidées à l’autorisation.
Les deux conférenciers ont, par la suite, croisé le fer lors d’un débat animé portant sur leur interprétation respective d’un jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Google[3]. Dans cette affaire, les parties avaient agi de consentement relativement à la présentation d’une preuve par déclaration sous serment. Plusieurs objections avaient été soulevées lors de l’interrogatoire de l’affiant au motif que les questions dépassaient les sujets abordés dans la déclaration relevant plutôt d’un interrogatoire sur tous les faits en litige. En première instance, la juge Paquette a pris les objections sous réserve, jugeant que l’interrogatoire pouvait porter sur tous les faits pertinents à l’évaluation des quatre critères de l’article 575 C.p.c. En appel, la juge Bich, en s’appuyant notamment sur les dispositions de l’interrogatoire préalable à l’instruction, a conclu que le jugement attaqué n’était pas déraisonnable au sens des principes directeurs de la procédure civile ni préjudiciable aux intérêts de la requérante confirmant ainsi le jugement de première instance.
Me Carron a émis quelques réserves au sujet de ce jugement. Elle a soutenu que le fait de permettre une preuve aussi large avant même l’autorisation est préjudiciable au défendeur et contraire aux principes directeurs de la procédure puisque le demandeur n’a qu’un fardeau de démonstration, par opposition à un fardeau de preuve. De plus, elle a déploré le fait que le jugement applique les dispositions relatives à l’interrogatoire préalable à l’instruction[4] plutôt que celles prévues pour l’interrogatoire d’un déclarant sous serment[5].
Pour sa part, Me Lauzon a soumis que le jugement devait plutôt être lu et compris à la lumière du fait qu’il s’agissait d’une demande pour permission d’en appeler. C’est donc dans cette optique que la notion de l’évaluation du préjudice a été abordée. À son sens, une preuve plus large au stade de l’autorisation ne peut être préjudiciable à la défense puisque la procédure d’autorisation demeure une étape primaire et distincte de la demande introductive d’instance une fois le recours autorisé. La preuve présentée au stade de l’autorisation n’aura alors guère d’incidence sur le mérite de l’action, dont les prétentions devront désormais être prouvées selon la balance des probabilités.
Conclusion
Chose certaine, la controverse jurisprudentielle au sujet des moyens préliminaires continuera d’animer plusieurs débats. Il sera intéressant de surveiller la manière dont les enseignements de l’arrêt Google seront reçus et interprétés par les tribunaux. Dans l’intervalle, tous s’accordent pour dire que la collaboration entre parties demeure la meilleure pratique à adopter afin d’assurer une saine gestion de l’instance et de minimiser les ressources judiciaires.
Quelques mots sur les conférenciers
Me Yves Lauzon, Ad. E. : Me Lauzon possède une vaste expérience dans le domaine des actions collectives ayant agi en demande dans plusieurs dossiers d’envergure depuis l’institution de ce véhicule procédural en droit québécois. Son parcours professionnel lui vaut la reconnaissance de pionnier dans le milieu par ses pairs. Il s’est joint à l’étude Trudel, Johnston & Lespérance au sein de laquelle il agit à titre d’avocat-conseil.
Me Christine Carron, Ad. E. : Exerçant principalement dans le domaine du litige commercial à titre d’associée principale au cabinet Norton Rose Fulbright, Me Carron a su développer une grande expertise dans le domaine des actions collectives en agissant en défense dans le cadre de dossiers d’intérêt. Me Carron contribue continuellement à améliorer l’accès à la justice et assure à ce titre la présidence de Pro Bono Québec.