La première conférence de l’année 2020 de la section du Forum des femmes juristes de l’ABC-Québec fut un franc succès.
Une trentaine de juristes, femmes et hommes, sont venus écouter, apprendre et participer à la présentation inspirante de Shari Graydon, fondatrice de Informed Opinions.
Nous devons retenir de cette conférence que, malgré l’importance primordiale et le caractère unique des points de vue et des positions qu’elle sous-tend, la voix des femmes est trop souvent et trop facilement décrue sinon inexistante dans les médias.
Cette réalité est d’ailleurs à l’origine du titre de la conférence, à savoir que, comme relaté par Madame Graydon en paraphrasant les propos tenus par Christine Lagarde en 2018, le crash financier mondial dû au crash des Lehman Brothers aurait possiblement pu être évité si ces derniers avaient eu « au moins, quelques sœurs » : à savoir si des femmes avaient eu leurs mots à dire dans la prise des décisions risquées à l’origine du désastre bancaire qui s’en est suivi.
Madame Graydon a, d’emblée, présenté des statistiques troublantes, démontrant que seulement 26% des personnes citées dans les médias sont des femmes, lesquelles pourtant forment 50% de la population. Elle a identifié qu’une des raisons principales de cette disproportion venait, non pas seulement du fait que les femmes sont moins sollicitées à s’exprimer publiquement, mais aussi du fait que plusieurs femmes ont une tendance avérée à décliner les demandes d’entrevues par manque de confiance en leurs propres habilités et connaissances.
Comme soulevé par Madame Graydon, cette tendance a pour effet, non seulement de limiter la représentativité féminine dans les médias, mais aussi, à plus long-terme, de décourager et de dissuader les demandes d’entrevues faites à des femmes, créant une impression et une attente de « refus systématique ».
En d’autres mots, en refusant trop souvent, sinon systématiquement les demandes d’entrevue, les femmes d’aujourd’hui empêchent les femmes de demain de s’exprimer et jouent, par la même, un rôle actif dans la perpétuation de leur absence dans les médias.
Par ailleurs, la conférence de Madame Graydon a, notamment, porté sur certains stéréotypes et défis auxquels sont confrontés les femmes, à divers niveaux, non seulement lorsqu’elles sont appelées à travailler et à s’exprimer publiquement, mais aussi dans d’autres domaines professionnels, politiques et sociaux.
On en retient, par exemple, que, contrairement aux hommes, la femme apparaissant dans les médias s’oblige, souvent, à des standards élevés « de maintien esthétique » et se voit plus facilement couper la parole par ses coanimateurs et collègues masculins sans que cela ne dérange outre mesure.
Madame Graydon a généreusement partagé sa propre expérience en tant que femme médiatisée, ayant été confrontée à une multitude de défis, allant de la difficulté à s’imposer physiquement et idéologiquement dans ce domaine encore dominé par les hommes, jusqu’à la perception négative de ses points de vue et de son activisme pour défendre et affirmer la présence et la voix de la femme.
Stimulés par cette présentation ayant eu l’effet d’un coup de semonce, les participants ont réagi de manière positive en reliant les faits relatés à leurs propres expériences et en partageant les initiatives de leurs propres organismes pour contrer les effets de la sous-représentativité et la sous-considération de la femme sur le plan professionnel.
D’ailleurs Me Danielle Ferron, Ad. E., membre du comité exécutif du Forum des femmes juristes, mentionnait que plusieurs gestes simples peuvent être posés quotidiennement afin de faire avancer la cause des femmes et réduire l’écart de représentativité entre les deux sexes, comme le proposait Mme Graydon.
« Madame Graydon a proposé plusieurs outils concrets pouvant être facilement mis en pratique. Que ce soit les programmes de formation dédiés aux femmes voulant apprendre à mieux prendre parole devant les médias, le programme de sensibilisation des journalistes quant à la sous-représentativité médiatique des femmes, ou le simple fait d’appuyer nos consœurs lorsqu’elles proposent des idées en réunion ou de rappeler à l’ordre ceux qui s’approprient leurs idées, ainsi que de mettre en place une pratique non équivoque de ne pas participer à un panel de discussion si les panélistes ne sont pas diversifiés, afin que le point de vue de tous puisse être représenté, tous ces gestes peuvent avoir un effet concret sur la réduction de cet écart de représentativité ».
Finalement, le résultat le plus bouleversant et marquant de cette conférence vient de la prise de conscience que l’affirmation de la voix et de la position de la femme dans les médias ou ailleurs dans la société passe, non seulement par une sensibilisation de la société à cet enjeu, mais également par la femme qui, en ne se reconnaissant pas elle-même, empêche les femmes de prendre leur place dans la société.
Sur la photo, à partir de la gauche, Mme Meryeme Manar, membre du Conseil d'administration de l'ABC-Québec et de la section des étudiants.es. en droit, Mme Shari Graydon, Me Danielle Ferron, Ad. E., membre du Forum des femmes juristes de l'ABC-Québec et Me Jeanne Morency du contentieux de la RBC.