JUS ET LEX

  • 23 avril 2020
  • M. Shawn Foster, membre de l'ABC-Québec et étudiant à la Faculté de droit de l'Université Laval.

INTRODUCTION
Penseur anglais du 17 e siècle, Thomas Hobbes est considéré comme l’un des pères du
libéralisme. Sa conception de l’état de nature de l’homme est la source de sa philosophie
politique, puisque d’elle émane la structure de l’État et, de surcroît, l’État tel que nous le
connaissons aujourd’hui. Il est important de s’intéresser à la pensée de Hobbes, car elle permet
d’établir les distinctions, parfois complètement oubliées par certains, entre le droit et la loi, non
sans omettre de nous montrer d’où l’État tire sa légitimité. Nous aborderons sa pensée pour
subséquemment établir des parallèles entre la Charte canadienne des droits et libertés et sa
philosophie, montrant ainsi que cette dernière fait sentir ses effets jusqu’à aujourd’hui.


L’ÉTAT DE NATURE
Avant de vivre sous l’autorité de l’État, l’homme menait une vie « solitaire, misérable,
dangereuse, animale et brève »1. Géré par ses désirs ainsi que par ses aversions, l’homme était en
constante compétition pour satisfaire ses besoins, ce qui pouvait le mener à tenter d’assujettir
autrui, voire même de l’éliminer le cas échéant. Si l’état de nature, hypothèse méthodologique, se
résume comme étant un état de guerre constant, où chacun est contre chacun, où l’homme est un
loup pour l’homme, c’est « à cause de l’absence d’une puissance commune qui les tienne tous en
respect »2. Cependant, ce n’est pas que dans l’affrontement violent perpétuel que s’incarne cette
guerre, c’est également dans l’incertitude, l’absence de tranquillité d’esprit par rapport à
d’éventuelles menaces possibles qu’elle se manifeste. En effet, sans autorité contraignante pour
enjoindre autrui de respecter mon droit à la vie, ou tout autre contrat entre individus, la
possibilité d’une vie en sécurité, en paix, n’est autre que dérisoire. Car s’il « n’existe aucune
puissance commune, il n’y a pas de loi; là où il n’y a pas de loi, rien n’est injuste »3. Ainsi
chacun a-t-il le droit sur tout, y compris le corps des autres, puisque, fondamentalement, chacun
a le droit d’assurer sa propre vie, en usant de sa propre puissance, de la manière qu’il le veut.


DE LA LEX NATURALIS À LA NAISSANCE DE L’ÉTAT
La lex naturalis , ou loi de la nature, « est un précepte, ou une règle générale trouvée par
la raison selon laquelle chacun a l’interdiction de faire ce qui détruit sa vie ou qui le prive des
moyens de la préserver, et de négliger de faire ce par quoi il pense qu’elle serait le mieux
préservée »4. C’est donc par suite du constat de cette « crainte de la mort provoquée par autrui
ou, l’envers de cette crainte, le désir de sa propre conservation »5, que l’homme, doté de raison,
s’inclinera vers la paix – première et fondamentale loi de la nature, affirme Hobbes. Étant donné

que celui «[qui] veut sa conservation, veut la paix »6, les hommes contracteront dans le but
d’abandonner leur droit individuel sur tout afin de le transférer au Léviathan; c’est-à-dire à
l’État. Ce dernier étant le « résultat de la renonciation mutuelle et contractuelle des individus à
leurs droits »7, il s’assurera de maintenir la sécurité et la paix dans les rapports qu’entretiendront
les hommes, qui sont naturellement en lutte constante. Voilà qui représente le contrat social de
Hobbes ainsi que la seconde loi de la nature: contracter en vue de la paix. Celle-ci, déclare
Hobbes, « réside dans l’assurance que la violence d’autrui n’est pas à craindre »8.

 

DU JUS NATURALE AUX LOIS CIVILES
Le jus naturale , ou le droit de la nature, se définit comme étant « la liberté que chacun a
d’user de sa propre puissance, comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre
nature, autrement dit de sa propre vie [...] »9. Ainsi le droit est-il synonyme de latitude;
c’est-à-dire de liberté de faire ou de ne pas faire. Le jus naturale est ce qui conserve les hommes,
dominés par leur « passion des richesses, du savoir et des honneurs »10, dans l’état de nature, en
ceci que le droit de nature « repose sur la liberté de chacun de poursuivre l’objet de ses passions
(le bon) et sur l’égalité de chacun face à la menace de mort provenant de l’autre (le mauvais) »11
.
Comme solution, l’État, suite au contrat, c’est-à-dire au « transfert mutuel du droit »12
individuel de chacun à lui, édicte des lois civiles, qui constituent des impératifs, donc qui
déterminent les actions des individus. On devient alors obligé, contraint d’obéir aux lois civiles,
non pas en raison de « leur nature propre (car il n’y a rien de plus facile à rompre qu’une parole
humaine), mais à la peur des conséquences malheureuses de leur rupture »13, établies par l’État.
Également parce que « la loi n’a été introduite dans le monde rien que pour limiter la liberté
naturelle des individus particuliers, de telle façon qu’ils ne puissent se nuire les uns les autres,
mais s’entraider et se lier ensemble contre l’ennemi commun »14. Le droit devient,
conséquemment, le résidu de liberté que nous laissent les lois civiles.
En somme, les hommes issus de l’état de nature, par suite de leur recherche de la paix et
la sécurité, délaissent donc leur droit naturel – soit leur liberté de tout sur tout –, afin de le céder
à l’État, par contrat, afin que celui-ci impose des restrictions à leur liberté par le biais de lois,
dans l’ultime but d’assurer la sécurité et la vie en paix du particulier, puisque sa jouissance est
tributaire de cette dernière.

 

EXEMPLE DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS
D’emblée, nous pouvons remarquer que nombre d’articles de la Charte canadienne
évoquent ces concepts explorés. En effet, nous pouvons constater le chevauchement entre droit,
liberté et loi, notamment à l’article 7, qui dispose: « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la
sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les
principes de justice fondamentale »15. De façon explicite, nous pouvons associer le droit à la vie
à la préservation de soi, l’une des raisons fondamentales ayant poussé l’homme à quitter l’état de
nature, tel que nous l’avons examiné. Nous pouvons, en prime, l’attribuer à la liberté qui
demeure une fois que d’autres lois se chargent de punir le meurtre ou l’atteinte à la vie. Le droit à
la liberté, lui, serait l’assurance de « l’absence d’entraves extérieures [qui] peuvent détourner une
part de la puissance de faire ce que l’on voudrait »16, en conformité avec le contrat social. Enfin,
le droit à la sécurité fait derechef allusion à la préservation, à la protection contre les atteintes
possibles, mais également à la vie en sécurité que désirent ceux quittant l’état de nature. À ces
quelques liens, nous reconnaissons l’influence de Hobbes sur la conception moderne du droit.

 

1 Thomas HOBBES, Léviathan , Paris, Éditions Folio, 2000, p. 225.
2 Ibid , p. 252.
3 Ibid , p. 228.
4 Ibid , p. 230.
5 Jean-Marc PIOTTE, Les grands penseurs du monde occidental, Montréal, Éditions Fides, 2005, p. 174.

6 Ibid , p. 175.
7 Ibid , p. 177.
8 Ibid , p. 173.
9 T. HOBBES, Léviathan , préc., note 1, p. 229.
10 J.-M. PIOTTE, Les grands penseurs du monde occidental , préc., note 5, p. 172.
11 Ibid, p. 173.
12 T. HOBBES, Léviathan , préc., note 1, p. 235.
13 Ibid , p. 234.
14 Ibid , p. 410.

15 Jean-Louis BAUDOUIN et Yvon RENAUD, Code civil du Québec 2018-2019 , Montréal, Éditions Wilson &
Lafleur ltée, 2018, F-13.
16 T. HOBBES, Léviathan , préc., note 1, p. 230.