Ils allaient se défier. S’affronter, entre copains. Et rire, nul ne pouvait en douter. Mais la joute n’allait pas commencer sans une lecture et une assimilation complète et absolue des règlements du jeu. Du moins lorsque le joueur nommé Stéphane Lacoste comptait parmi les équipiers. Il avait décortiqué les règles et gare à l’adversaire qui lorgnait l’affront sur ce terrain… Au risque - exempt de péril! – de se voir affublé du quolibet inoffensif « pointilleux », le jeune Lacoste jouait alors dans le terreau des débats et des effeuillages de règlements de la profession qu’il a embrassée. À l’instar des combats ludiques qui l’enivraient lorsqu’il était enfant, les litiges du droit du travail nourrissent aujourd’hui quotidiennement la passion de Maître Stéphane Lacoste, épris du service public incarné dans sa pratique.
Portrait du président de la section de droit du travail, avocat général de Teamsters Canada
Sa voix avait beau être éraillée, victime du rhume, le juriste n’a pas retenu sa verve lors de l’entrevue qu’il a accordée à l’ABC-Québec. Il livre aisément les mots; agile plaideur, certes, mais homme pour qui le droit du travail coule dans les veines.
Il échappe le rire timide et furtif de l’aveu lorsqu’il relate cette petite manie innocente de la lecture assidue des règles du jeu, assortie d’une obstination à toute épreuve, qui le caractérisaient lorsqu’il était enfant. « J’étais le ‘gosseux’… », laisse-t-il tomber. Et l’azur de ses yeux semble plus intense lorsqu’il évoque, d’un ton sérieux, le fondement de son choix de carrière : l’aspiration au service public.
« J’ai eu ma première fille à 18 ans et il fallait que je travaille. Ma mère était alors secrétaire dans un bureau de notaire. Je suis rentré en droit pour devenir notaire », raconte l’avocat de 47 ans.
Le constat de sa propension à l’objection et au débat a refait surface pendant ses études de baccalauréat en droit, à l’Université de Montréal. Pour l’amener à conclure, en travaillant au contentieux de la STCUM (Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal, aujourd’hui la STM) pendant les étés de 1987 et de 1988, qu’il souhaitait être avocat plutôt que de poursuivre en notariat.
Il était bien engagé sur cette route. Elle l’a d’abord mené à la formation de l’École du Barreau du Québec en 1988, au cours de laquelle il a travaillé en droit du travail au cabinet Brodeur, Matteau, St-Laurent, après quoi il fut admis au Barreau, en 1989. Il y est demeuré pour un stage, puis après une période de chômage de deux mois et la naissance de sa deuxième fille, il a fait son entrée chez Castiglio & Associés en 1990.
« J’y faisais aussi du droit du travail, de même que de la déontologie policière », mentionne-t-il.
Il savait qu’il avait choisi la bonne voie : le droit du travail le comblait, notamment parce qu’il s’agit d’un domaine du droit dont l’objet de la pratique est le client. « C’est un droit plus ‘humain’, comparativement par exemple au droit fiscal, où l’on travaille aussi avec des personnes, mais pas d’aussi près », précise-t-il. Il poursuit en signalant qu’à cette époque – et encore aujourd’hui - le droit du travail n’était pas orné de la même aura de prestige que d’autres domaines de pratique de la profession.
Causes mastodontes
Le syndicat Teamsters Québec (section locale 106), qui comptait parmi les clients de Castiglio & Associés, a tellement apprécié le travail de Me Lacoste qu’on lui a proposé, en 1997, le poste d’avocat qui venait d’être créé.
Le saut fut ardu, même s’il atterrissait sur un sol riche en apprentissages et en défis professionnels stimulants. « C’était pour moi un changement important en ce qui a trait à ma pratique : je me retrouvais seul, pas d’avocat junior, pas de stagiaire, pas de technicien. Je plaidais trois fois par semaine et je devais tout préparer moi-même », raconte l’avocat, qui assumait en fait seul la gestion des affaires légales du Local 106 (sauf en ce qui a trait aux accidents de travail et en matière d’assurance-emploi), de même que celles de la section 973.
En partageant les bureaux des principaux acteurs syndicaux, en assistant aux assemblées générales et en participant à la préparation des campagnes, il était bien collé aux réalités de l’univers syndical et ce, dès la naissance d’un grief.
Au milieu de ce tourbillon de règlements syndicaux qui nourrissaient son esprit et ses compétences, est née, en 1991, la source d’un bonheur d’un tout autre ordre : le 3e et dernier rejeton de la famille Lacoste.
Six ans plus tard, l’avocat devenu expert en droit du travail a pris la route de Teamsters Canada, répondant ainsi à l’appel de celui qui fut son supérieur chez Teamsters Québec, qui avait migré au niveau national quelque temps plus tôt.
Il a alors fait face à un autre type de défi : l’étude du droit des autres provinces, puisqu’une part des dossiers dans lesquels il est impliqué relève des provinces de common law. « Je joue aussi le rôle d’interface avec le syndicat international à Washington; c’est une expérience professionnelle très intéressante. J’agissais aussi comme conseiller pour les sections locales », raconte celui qui est aussi parfois appelé à plaider des arbitrages de griefs dans d’autres provinces.
La voie fut semée de causes qui auraient pu paraître insurmontables et pourtant, Me Stéphane Lacoste est chaque fois parvenu à ses fins, prenant des parcelles de la montagne pour enrichir son bagage de connaissances. Il a notamment piloté, en 1997, la tentative de syndicalisation d’un restaurant McDonald’s au Québec. La mission ne fut pas de tout repos : en plus d’affronter toutes les frondes lancées par l’empire de la restauration rapide, les Teamsters ont dû faire face aux assauts de la vague médiatique, tout en assumant la gestion de l’implication du gouvernement et de la FTQ dans le dossier… Sans compter la délicate opération que constitue le témoignage d’une jeune fille de 15 ans, employée du restaurant. Plusieurs des employés du restaurant étaient d’ailleurs des adolescents. « C’était un beau défi professionnel parce que je n’avais jamais eu à gérer tous ces aspects dans un dossier », ajoute l’avocat.
La restructuration d’Air Canada et de ses filiales fut également un dossier titanesque. « Il a fallu faire un peu de droit bancaire et ce n’était pas courant pour moi. Le défi était d’autant plus grand que des millions de dollars étaient en jeu… », se rappelle-t-il.
Au gré des vagues et des missions
Au-delà du travail avec ces employeurs « colosses » qui ne font pas la majorité des causes de Teamsters Canada, demeure une constante : les présidents, représentants, trésoriers et autres acteurs syndicaux avec lesquels leur avocat est appelé fréquemment à travailler sont pour la plupart des travailleurs qui ne sont pas forcément initiés à la gestion de ressources humaines, de finances ou de comptabilité. Il faut donc souvent leur prodiguer une formation sommaire et les épauler dans leur travail.
Me Stéphane Lacoste doit par ailleurs composer avec une source de contrariété quotidienne : la durée des procédures d’arbitrage. « C’est souvent trop long et trop cher, ce qui sert mal le public et la démocratie », estime-t-il.
Écueils et frustrations n’entravent pas outre mesure sa route, animé qu’il est par la passion à chaque nouvelle mission à laquelle il se voue : il affirme que l’on peut améliorer le monde dans lequel on vit et sa contribution s’incarne dans ce travail. « J’ai toujours voulu être utile en m’impliquant : au secondaire, je faisais partie du conseil étudiant, j’étais impliqué aussi à l’université et même dans mes emplois étudiants, je faisais du service public… j’ai entre autres travaillé en entretien dans une résidence pour personnes âgées », relate-t-il.
Qui plus est, il partage sa passion tout en mettant son savoir au service de l’avancement de sa profession, mais également, du droit du travail. C’est notamment par le biais de son implication dans l’Association du Barreau canadien (ABC), tant à la Division du Québec qu’au niveau national, qu’il s’y emploie depuis 2004. Il est également membre de l’Association canadienne des avocats du mouvement syndical (ACAMS) et il est constamment sollicité pour prononcer des conférences en droit du travail. Il œuvre aussi en politique fédérale et provinciale.
Au-delà de tous ces fils qui tissent son parcours professionnel, Me Stéphane Lacoste voit et vit les jalons de l’évolution du droit du travail, marquée par exemple par l’adoption d’un code de déontologie policière en 1990, qui constituait un changement important pour le travail des policiers.
« Les règles en matière de harcèlement psychologique ont aussi eu un impact en droit du travail, signale Me Lacoste. Une fois que l’on a défini ce qui constitue le harcèlement, il a fallu commencer à les gérer; faire des enquêtes, aller en arbitrage… »
Assurément, d’autres soubresauts et bouleversements bonifieront la pratique et l’application du droit du travail au cours des prochaines années. Me Stéphane Lacoste sera aux premières loges, tout comme sa fille aînée, avocate, qui a aussi choisi ce domaine de pratique. De son plein gré… bon, papa Lacoste a insufflé la suggestion. Mais sans plus… Toute petite, elle traçait ses dessins dans les cahiers de convention collective de son père. Il n’y avait pas là de quoi dessiner un destin mais son paternel est certes aujourd’hui très fier.
Quoi qu’il en soit, Me Stéphane Lacoste n’en a pas fini avec le gamin entêté, lecteur assidu des règlements qui l’a mené à sa destination professionnelle. Il est là, en lui, mais le plateau du jeu est serti d’enjeux sérieux. Qui font tout autant son bonheur.