L’administration de la justice pénale : une réponse institutionnelle non-violente à la violence

  • 30 septembre 2014
  • Me François Dadour, Président de la section de droit criminel, ABC-Québec

Tant dans le domaine public que dans les échanges privés, des voix d’aujourd’hui, d’hier et de demain s’élèvent contre la violence. Le sujet est bien sûr immense et de vastes pans du savoir humain se consacrent à son étude. Plusieurs de ses sous-thèmes sont bien connus : la violence des jeunes, celle à leur égard ou encore celle de qui s’en prend aux personnes âgées. La violence physique et psychologique. La violence conjugale et la violence aveugle ou spectaculaire. La violence légitime et la violence criminelle. Des opinions variées et souvent passionnées l’attribuent parfois à l’État ou à des groupes : la violence terroriste, la violence policière ou militaire, la violence institutionnelle, soulignant au passage les justifications étatiques, historiques ou sociologiques qui sont perçues comme des précurseurs de celles-ci.
 
Discuter de la violence, c’est nécessairement convier son antidote à prendre la parole. Et c’est ce que souligne la Journée internationale de la non-violence.
 
Les quelques lignes qui suivent ont un modeste dessein : celui d’esquisser un lien, s’il en est, entre la non-violence et la justice. Mieux : entre la non-violence et l’administration de la justice, et plus particulièrement l’administration de notre justice pénale.
 
Monsieur le juge La Forest, rédigeant pour une Cour unanime, a déjà écrit : « Les cours criminelles sont de par leur nature des endroits durs ». C’est en effet le lieu où la violence est narrée, mimée et exhibée. C’est aussi le lieu où cette violence est criée, revécue et parfois métabolisée, mais aussi punie, expiée et parfois pardonnée. C’est là que les accusés de cette violence attendent anxieusement le dénouement de ce qui les y a fait comparaître, aux côtés des plaignants de cette même violence qui attendent le même dénouement avec la même anxiété.
 
Tout, dans le droit, tend de toutes ses forces vers l’atteinte du résultat juste. C’est ce principe suprême qui diffuse à travers l’écheveau complexe de règles qui interagissent entre elles au gré des litiges dont sont saisies les cours de justice. Le principe agit sur le fond et sur la forme.
 
L’administration de la justice s’applique à donner vie à ce principe et aux règles qui s’en déduisent. Une de ces règles de fond est que la recherche de l’équité ne doit pas l’emporter sur la recherche de la vérité. Et inversement, la recherche de la vérité doit demeurer dans les limites de l’équité. C’est à l’administration de la justice que revient la responsabilité de prescrire la bonne posologie.
 
En application de ces normes, l’accusé peut être acquitté. Il peut aussi être condamné, ce qui signifie que l’État a renversé la présomption d’innocence, admirablement décrite comme le fil d’or de la toile du droit pénal. L’audience sur la détermination de la peine permet à la victime d’être pleinement entendue. Elle permet également au contrevenant de faire valoir tout ce qui est pertinent à la peine qu’il subira. Celle-ci est le fruit d’un pouvoir discrétionnaire, qui peut être limité par la loi, mais qui doit escompter tant la punition que la réhabilitation du contrevenant. À ce dernier stade, l’administration de la justice tend encore totalement à atteindre le résultat juste, en tenant compte de tous les facteurs pertinents.
 
Ainsi, aux cris, à la peur, aux coups, au désespoir, la justice pénale répond par l’application de règles de fond polies par la patine du temps et par le savoir collectif d’une discipline cultivée avec soin depuis l’Antiquité. Des erreurs peuvent-elles se produire dans l’application de ces règles? Certainement. Mais là n’est pas la question. Dans cette discussion, le principal est que, sous cet angle, l’administration de la justice pénale constitue une réponse collective et institutionnelle complète à la violence, que ce soit celle d’individus, de groupes ou d’autres institutions. Parce qu’elle est une réponse complète à la violence, l’administration de la justice pénale est donc une forme institutionnalisée et ritualisée de non-violence.
 
Si le fond est important, la forme ne l’est pas moins. La procédure, comme le rappelait il y a longtemps un professeur, est mère de la liberté. Pour pouvoir être administrée, la justice d’abord écoute. Le décorum nécessaire témoigne de l’importance de l’exercice. Chacun est entendu. Chaque preuve est avancée et puis scrutée. Chaque argument est présenté. Personne n’est laissé en plan.
 
Ainsi, à la douleur, à la honte, à l’impuissance, à la soif de justice et au chagrin, l’administration de la justice répond par l’écoute, la pondération sereine, la raison et la patience. Cela ne signifie pas que plaignants, témoins, accusés, victimes et contrevenants ne souffrent pas lorsqu’ils expliquent, souvent après une trop longue attente, ce pourquoi ils se trouvent en ces endroits durs que sont les cours criminelles. Mais parce qu’elle exprime, applique et incarne des valeurs qui sont opposées à la violence et à ses désordres, l’administration de la justice est ici encore une réponse complète à celle-ci. Et parce qu’elle est aussi, sur le plan formel, une réponse complète à la violence, elle tisse un autre lien qui fait d’elle, ici encore, une manifestation organisée et sophistiquée de non-violence.
 
L’administration de la justice n’est pas qu’une abstraction philosophique ou juridique. Elle a aussi un visage. Un visage humain. Cette justice à visage humain fait « la part de l’autre » aux éléments d’intuition, d’expérience et de sensibilité dépassionnée qui, bien que subordonnés aux règles, font toute la différence entre l’administration d’une justice aveugle, brutale, sans visage, et celle à laquelle participent nos semblables ou nos pairs. Parce qu’elle n’est pas le fruit d’une machine savante. Et parce que tout justiciable qui se présente devant ses semblables ou ses pairs peut espérer des uns ou des autres sa pleine mesure de justice, laquelle lui revient à titre de sujet de droit bien vivant. En cela, l’administration de la justice est une réponse complète à l’inhumanité de certaines expressions extrêmes de violence, et en cela aussi elle devient donc, ultimement, une expression symbolique, mais puissante de non-violence.