L’avocate qui panse les plaies...

  • 22 avril 2014
  • Josée Descôteaux - ABC-Québec

Ses yeux plongent dans le regard effaré, brouillé par la détresse, de l’homme assis devant elle. Elle écoute ses mots qui défilent, racontant la dégringolade de sa vie, de la blessure à l’erreur médicale qui a mené à la paralysie… L’avocate sent l’émotion qui bout en elle, mais elle doit réfréner sa montée. Par-delà les marées éprouvantes de sa mission, subsiste l’espoir du baume financier qu’elle pourra récupérer pour soulager les blessures irréversibles de son client. Car pour Maître Mylène Beaupré, avocate spécialiste de la responsabilité médicale, le triomphe professionnel est de parvenir à extirper des eaux du désespoir un être blessé. Et l’objectif de cette victoire se confond avec son bonheur professionnel.

Portrait de la présidente de notre section de droit de la santé, experte en droit et éthique médicale, dirigeante et seule avocate de son propre cabinet.

Maître Mylène BeaupréD’abord, le lieu commun, pourtant inéluctable car il dépeint tout son parcours professionnel : ses proches lui ont souvent signalé qu’elle était dotée d’un « petit côté Mère Teresa ».

Dans cette optique, elle souhaitait dans un premier temps soigner les cœurs et âmes. « Je voulais être psychiatre, auprès des enfants. Je n’étais pas tout à fait assez forte en sciences mais j’étais bonne en lettres alors j’ai décidé d’aller en droit en me disant que j’allais obtenir des notes assez fortes pour ensuite aller en médecine…! », raconte l’avocate de 48 ans.

Mal et bien lui en prirent : l’ambition médicale fut évincée par une passion soudaine pour le droit, rapidement assouvie en deuxième année de son baccalauréat à l’Université Laval (1985-86), dans le cadre d’un travail en droit criminel (en défense) au cabinet Fontaine, Garneau et associés à Québec. Elle y consacrait 25 heures par semaine et ce travail s’est poursuivi tout au long de ses études universitaires et de son stage du Barreau. Elle y a par la suite travaillé pendant deux ans à titre d’avocate.

Elle a complété sa formation à l’École du Barreau en 1988. Puis en 1990, une rencontre avec une personne qui avait obtenu sa maîtrise en droit et éthique médicale a ravivé son attrait pour la médecine. Elle a renoué avec sa flamme en s’envolant pour Londres, où elle a poursuivi ses études supérieures avec une maîtrise en droit et éthique médicale au Center of Medical Law & Ethics du King’s College.

Elle est demeurée cinq ans dans « la ville anglaise où il pleut souvent ». Elle y a travaillé pendant la moitié de son séjour au sein d’un organisme à but non lucratif, pour lequel elle agissait à titre de conseillère pour la qualité des programmes de soins offerts aux personnes atteintes du VIH dans les prisons du sud-est de Londres. « C’est un milieu très de gauche, cette expérience est venue me chercher… J’ai toujours eu le souci de la personne et surtout, de la personne vulnérable », précise l’avocate, mère d’un garçon âgé de 14 ans. C’est sans aucun doute pour cette raison que la frontière entre les problèmes de santé mentale et les démêlés avec la justice est l’objet de son mémoire de maîtrise…

C’est aussi mue par ce souci qu’elle a occupé, en 1994, toujours à Londres, un poste de chercheure associée au Center of Medical Law & Ethics du King’s College. Elle y a étudié les aspects moraux et légaux des soins et services auprès de patients en état végétatif chronique.

De retour à Montréal en 1995, Me Beaupré a travaillé à titre d’agent de recherche au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal.

David contre Goliath

Elle est entrée dans l’univers des cabinets d’avocats par la grande porte en 1997, en se joignant à l’équipe de Me Jean-Pierre Ménard, chez Ménard, Martin, Avocats. Elle y a œuvré pendant dix ans, principalement en poursuite pour responsabilité médicale.

Elle a effectué son  « grand plongeon » professionnel en 2008, en ouvrant son propre cabinet. Me Beaupré offre ses services en responsabilité civile médicale, dentaire et hospitalière, de même qu’en droit des aînés.

Même s’il s’agit d’un saut sans filet, c’est aussi là le mariage de ses deux passions, le droit et la médecine. Elle puise une part de sa satisfaction professionnelle en travaillant en collaboration avec les médecins experts. « C’est un travail d’équipe dont le fruit est au coeur des chances de succès de mes dossiers... », estime-t-elle.

En plus des récits souvent douloureux qu’elle doit écouter dans son cabinet, elle doit faire face au défi d’affronter, pour la majeure partie de ses causes, un adversaire plus « armé » qu’elle. « Je défends des personnes qui ont des moyens modestes contre des hôpitaux ou des médecins qui ont des assurances et des avocats brillants travaillant en équipe, souligne-t-elle. Il faut être rigoureux, créatif et combattif… »

Mais les écueils de ce combat ne doivent pas rejaillir sur ces personnes déjà fortement affaiblies par leurs propres blessures et qui comptent sur elle pour se relever… car la souffrance est décuplée dans l’attente que justice soit faite. Et cette attente ronge la résistance lorsqu’elle persiste. Pour l’avocate, cet obstacle constitue pratiquement la règle plutôt que l’exception, car il s’agit de délais inhérents au type de causes qui lui sont confiées. « C’est difficile, car il faut aussi gérer les frustrations des clients liées à ces délais », ajoute-t-elle.

Les autres missions

C’est dans ce passage sombre que se trouve actuellement la quête de justice de cet homme paralysé cité au début de ce texte. Il s’est confié pour la première fois à Me Mylène Beaupré en 2009…

Les appels au secours auxquels l’avocate ne peut répondre sont tous aussi déchirants. « Convaincre les gens qu’ils ne pourront pas poursuivre est parfois très difficile… », confie-t-elle.

Côtoyer ainsi la souffrance peut ébranler même le juriste le plus solide. Qui plus est, il faut parfois offrir aussi son soutien psychologique, alors que l’on ne possède pas les qualifications nécessaires pour prodiguer ce type d’aide. Pour Me Beaupré, le temps et l’expérience ont permis d’ériger un mur de protection entre elle et ses clients. « C’était plus difficile au début. Je rentrais chez moi et je pensais à eux… », laisse-t-elle tomber.

Pour s’extirper de ces eaux troubles, elle se tourne vers d’autres causes auxquelles vouer son expertise et ses intérêts. L’ABC-Québec compte parmi ces missions. En plus d’être la présidente de la section de droit de la santé, elle s’implique, non sans une grande satisfaction professionnelle, dans le programme Citoyenneté et chartes de la Division.

Son alliance avec sa section de droit lui permet, affirme-t-elle, de jouir d’opportunités d’échanges avec des avocats qui partagent ses intérêts professionnels et travaillent dans différents milieux.

L’organisation d’activités de formation s’avère aussi une source de contentement professionnel. « J’ai le goût de ‘donner au suivant’, maintenant que je suis rendue assez loin dans mon parcours… ».

Le « don au suivant » vaut son pesant d’or lorsque son bénéficiaire est la victime d’une erreur médicale. Me Mylène Beaupré se rappelle cette femme enceinte au train de vie modeste. Une bourde fut commise lors de l’accouchement, provoquant la paralysie cérébrale de son nouveau-né. Après la descente aux enfers qui a suivi l’annonce de la nouvelle, le couple a lutté cœurs et âmes pendant quelques années pour obtenir une compensation financière. « Ils ont travaillé si fort. Et le couple est demeuré uni. Ce sont des gens tellement résilients. Ils ont finalement eu une belle somme d’argent qui va leur donner une meilleure qualité de vie… », relate-t-elle.

Pour cette avocate dont le regard sans fard est porté par une grande force sensible, c’est là tout l’or de son art : elle gagne sa vie en regagnant des parcelles de vie pour ces victimes qui ont perdu de grands pans de la leur… elle est alors riche de cette dose de bonheur insufflée sur leurs souffrances.