L’arrêt Mack : M. Big, suite et fin

  • 06 octobre 2014
  • Me François Dadour, Président de la section de droit criminel, ABC-Québec

L’arrêt R. c. Mack, 2014 SCC 58 a été entendu en même temps que le pourvoi Hart (notre commentaire sur l’arrêt R. c. Hart, 2014 SCC 52) et porte sur le même sujet : les opérations de type M. Big. Cependant, l’arrêt Mack introduit des éléments particuliers qui sont évalués par la Cour à la lumière des règles dégagées antérieurement à l’occasion du pourvoi Hart.

Dans l’affaire actuelle, l’appelant avait été trouvé coupable du meurtre au premier degré de son colocataire. L’essentiel de la preuve découlait de deux sources distinctes : une preuve d’écoute électronique et un aveu recueilli des suites d’une opération M. Big. Au procès – et pour des motifs qui ne font pas l’objet d’une discussion particulière – le ministère public a reconnu que les autorisations judiciaires pour l’interception de communications privées n’étaient pas valides. Cependant, l’appelant a soutenu que les écoutes avaient assisté les policiers à ajuster l’opération M. Big dont il était la cible. En conséquence, l’appelant proposait que l’illégalité des autorisations judiciaires s’étende aux aveux obtenus par M. Big et que ceux-ci soient ainsi exclus en vertu de la Charte. Cet argument a permis à la Cour de réitérer l’état du droit relativement à la notion de « l’obtention » d’un élément de preuve en violation d’un droit constitutionnel, soit le critère retenu au paragraphe 24(2) de la Charte pour obtenir réparation.

La Cour a donc rappelé qu’un lien causal n’est pas nécessairement exigé. Un lien temporel peut établir le critère de « l’obtention », ou encore une combinaison de causalité et de temporalité. Outre ce rappel, il est d’intérêt de noter que « la fermeté du lien entre un élément de preuve et l’atteinte à un droit garanti par la Charte est une question de fait » (par. 39). Or, une question de fait commande une grande déférence en appel. Seules l’application de mauvais facteurs d’analyse ou une conclusion déraisonnable sont susceptibles de révision en appel. Cet argument a donc été rejeté.

Un second aspect à noter est la propre évaluation de l’opération M. Big par la Cour suprême. Cette question n’était pas en litige directement dans les instances inférieures, et la grille d’analyse de l’arrêt Hart n’était pas encore disponible. La Cour conclut que les aveux auraient été admissibles. Quant à la valeur probante (la première étape de l’analyse), les gratifications étaient modestes et l’appelant n’avait pas fait l’objet de menaces. Il a décidé de rester dans l’organisation alors qu’il lui était loisible de quitter. Divers éléments objectifs corroboraient ses aveux. En ce qui concerne l’effet préjudiciable (la seconde étape de l’analyse), aucun fait contextuel négatif n’avait été relaté quant à son passé ou à sa vie personnelle. Son rôle dans l’organisation fictive était minimal. Rien par ailleurs ne militait en faveur d’une conclusion d’abus de procédure découlant de l’ampleur de la ruse ou des mensonges des policiers. Ces conclusions sont d’une grande valeur puisqu’elles fournissent une illustration de l’application de la grille d’analyse de l’arrêt Hart à une autre série de faits par la plus haute instance du pays.

Un troisième aspect mérite également quelques lignes. Dans Hart, la Cour a précisé que des aveux, même admissibles, pouvaient comporter des risques relativement à l’équité des procédures lorsqu’ils avaient été obtenus dans le contexte d’une opération de type M. Big. Afin d’y remédier, la Cour avait indiqué que des directives devaient être données au jury afin de limiter tout préjudice. Cette question est développée plus avant dans Mack.

L’aspect central de telles directives est que le juge du procès doit communiquer au jury les éléments pertinents qui mettent en doute la fiabilité des aveux, de même qu’une mise en garde quant au préjudice de leur admission en preuve. La Cour rappelle qu’il n’y a pas de formule magique à employer et que l’accusé a droit à des directives appropriées, mais non nécessairement parfaites. Le choix des termes, l’ampleur et la nature des directives sont à la discrétion du juge du procès et varient selon les circonstances de l’affaire. Cependant, la Cour évoque certaines balises adaptées aux fruits des opérations M. Big. Sur le plan de la valeur probante ou de la fiabilité, le juge doit examiner, avec le jury, les éléments pertinents à l’appréciation des aveux. Le juge du procès n’est pas tenu d’exposer tous ces éléments en détail, mais il doit plutôt attirer l’attention du jury à cet égard. Sur le plan de l’effet préjudiciable qui découle de la narration des étapes de l’opération elle-même, le juge du procès est en terrain plus connu. Il doit mettre en garde le jury relativement à la nature contextuelle de cette preuve et doit l’avertir qu’une déclaration de culpabilité ne peut se fonder sur une telle preuve seulement.

Suite aux deux arrêts Hart et Mack, il est permis de croire qu’un « nettoyage » définitif a été complété par la Cour suprême au bénéfice des acteurs du système de justice pénale et de la communauté juridique en général relativement au droit applicable à ce type d’opération policière. Il vaut aussi de noter qu’au terme de cet exercice, le pouvoir discrétionnaire du juge du procès de mettre en équilibre la valeur probante et l’effet préjudiciable a été maintenu dans son entièreté. De même, le résultat de cette mise en équilibre n’affecte que l’admissibilité de la preuve. Le rôle du jury dans l’évaluation de la force des aveux, mais aussi de l’intensité de la ruse policière, demeure entier.