Petit récit d’une tentative d’hameçonnage. La nuit, sur Facebook, bien des chats sont gris.

  • 11 novembre 2014
  • Bertrand Salvas, notaire, Collaboration spéciale de la Chambre des notaires du Québec

Ma passion pour les nouvelles technologies est, c’est le moins qu’on puisse dire, bien documentée. Tout comme les réserves que j’éprouve envers les effets pervers qu’entraîne trop souvent leur usage dans la vie quotidienne. Je me souviens par exemple des discussions qui avaient cours lors de l’introduction de l’informatique personnelle, de la possibilité dont nous disposerions bientôt de déléguer des tâches ennuyeuses et répétitives aux ordinateurs afin de mieux profiter de la vie. Informatique et société des loisirs étaient alors indissociablement liées dans la perception populaire. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre à quel point nous nous étions trompés.

Bien loin de nous éloigner du travail, les technologies nous en rendent encore plus esclaves, et l’arrivée des téléphones intelligents n’a fait qu’empirer les choses. Désormais, nous pouvons être accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre par téléphone, courriel, messagerie texte ou autre. Les notaires, comme tous ceux offrant des services professionnels, sont particulièrement vulnérables à cette invasion. À un point tel que le défaut d’établir et de respecter des règles strictes à cet égard peut carrément mener à l’épuisement professionnel.

Fais dodo, Fido (Bell, Rogers, Vidéotron…) mon p’tit frère…

Une très mauvaise habitude à cet égard est de dormir en laissant son téléphone cellulaire allumé à côté de soi. Certains poussent même la dépendance jusqu’à le mettre sous leur oreiller, en mode vibration, pour être certain de ne pas rater d’appel. Bien entendu, il y a certains bémols à apporter. Pour les gens, de plus en plus nombreux, qui ont abandonné leur téléphone traditionnel pour n’utiliser que le cellulaire. Dans un tel contexte, on peut comprendre que l’appareil reste en fonction en tout temps pour des fins de sécurité.

Mais il y a quand même quelques précautions à prendre, car des études démontrent que de dormir avec son cellulaire allumé (impliquant, en sous-entendu, la volonté de rester disponible en tout temps pour ses clients) peut causer de graves problèmes de sommeil1. En pareil cas en effet, le corps reste en état de vigilance constant et atteint plus rarement, et pendant moins de temps, l’état de sommeil profond nécessaire à un repos efficace. Pire encore, le fait d’utiliser ou même de consulter son appareil pour quelques instants pendant la nuit emporte aussi son lot de problèmes. La lumière DEL émanant de ces appareils ayant la propriété de stimuler le cerveau et de le rendre plus alerte, se rendormir rapidement et profondément sera beaucoup plus compliqué. Certains chercheurs prétendent même que ceci pourrait perturber à long terme notre horloge biologique, provoquant souvent des problèmes d’insomnie et de stress. Charmant.

Soyons donc prudents. Les notaires ont bien assez d’avoir à se réveiller souvent la nuit pour se rappeler de téléphoner ou d’écrire à un client donné, ils n’ont pas besoin de leur téléphone pour perturber le peu de sommeil qui leur reste!

Café, rôties et hameçonnage

Ceci m’amène à mon sujet principal de ce mois-ci, qui m’a justement été inspiré par un usage matinal de mon téléphone intelligent. Rassurez-vous je ne suis pas accro, je fais simplement partie du groupe de citoyens à avoir abandonné leur ligne téléphonique classique au profit du cellulaire. Donc un beau matin, je prends mon appareil et visite mon compte Facebook. Je suis presque tout de suite interpellé par une amie qui me salue dans la messagerie. Je suis un peu surpris, car ce n’est pas une amie proche (dans tous les sens du mot, car sa famille habite à près de dix heures de route de chez moi!) et que nous ne discutons à peu près jamais ainsi.

Tout de suite, elle me demande si j’ai vu la dernière publication me concernant. Je pense sur le coup qu’elle a vu un texte sur le Web reprenant un de mes propos dérangés. Je remarque alors que l’orthographe de son nom sur Facebook a changé. Phonétiquement c’est pareil, mais l’orthographe n’est plus la même. Premier doute. Je lui souligne le fait, et elle me répond que son « maintenancier » a dû le modifier. Hum. Nouveau doute, car ce mot bien français n’est pas souvent utilisé au Québec. En tout cas l’amie en question ne l’utiliserait pas. D’ailleurs celle-ci est diplômée universitaire et ne ferait pas autant de fautes d’orthographe que mon interlocuteur en faisait dans ses messages.

Sur ces questionnements, dont je suis assez fier, car rappelons qu’il est tôt le matin et que je n’ai pas encore pris mon café, mon « amie » me fournit un lien dirigeant vers cette fameuse publication censée me concerner. À ce moment, tous mes sens sont aiguisés alors je ne clique pas sur le lien. Au contraire, je l’examine. À première vue c’est une adresse sur le site de Facebook. Mais en y regardant bien, je remarque que l’orthographe du nom du site est incorrecte. On me dirige sur une page d’un pseudo site « faSebook », où un « s » remplace le « c ». Tout ceci me confirme que le compte de mon amie a été piraté, que je discute en réalité avec un pirate localisé dans un autre pays francophone où « maintenancier » fait partie du langage courant, et qui est en train d’essayer d’hameçonner toutes les personnes figurant sur la liste de contacts de mon amie. Élémentaire mon cher Watson.

La main dans le sac

Les tentatives de fraude ou d’hameçonnage sur Facebook sont monnaie courante. Le réseau social est la quatrième cible en importance à cet égard, précédé seulement par Paypal, Ebay et la banque HSBC. La quantité de renseignements personnels qu’on y retrouve et la possibilité de facilement rejoindre d’autres victimes à travers les listes d’amis expliquent probablement la chose.

Mais mon histoire se termine quand même de manière relativement rassurante. Après cette mésaventure, j’ai pensé en prévenir tous mes contacts du stratagème dont j’avais été témoin. Après avoir raconté la longue histoire, un message de Facebook est apparu à mon écran me disant que je ne pouvais publier un texte contenant un lien frauduleux. J’avais en effet cité « Fasebook » dans mon texte pour suggérer à mes contacts d’ouvrir l’œil. Le site est donc au courant de ces tentatives d’hameçonnage ayant lieu en ses pages, et a mis en place des mécanismes de défense. Une visite rapide m’a ensuite permis de constater que la page de l’amie piratée avait déjà été fermée. J’ai mieux compris l’empressement du pirate à tenter d’hameçonner au plus vite le plus de gens possible, car il devait savoir que les comptes piratés ne font pas long feu2.

Quelques conseils

Toute cette aventure a quand même de quoi faire réfléchir. Il faut tout d’abord rester prudent, et ne pas se précipiter sur tout lien présenté sur notre écran. De la même façon, n’utilisez jamais vos identifiants Facebook pour vous connecter à un autre site, même si on vous y invite. Le croisement d’informations est une des pires menaces sur le Web. Créez des comptes indépendants partout, utilisez plusieurs adresses courriel, brouillez les pistes.

Ne tombez pas non plus dans le panneau des vidéos comiques ou mignonnes qu’on vous demande de partager sur votre compte Facebook avant de pouvoir les visionner. Les chatons et les chiots qui dorment avec des bébés sont à la mode, vous en trouverez d’autres! Évitez aussi d’associer à long terme votre numéro de carte de crédit ou votre numéro de téléphone à tout compte. Par exemple à travers des jeux du genre Candy Crush ou autres qui sont un véritable cancer sur Facebook. Les invitations à ces jeux sont d’ailleurs aussi utilisées dans des tentatives d’hameçonnage. D’ailleurs, payez donc par Paypal le plus souvent possible et gardez vos numéros de cartes de crédit pour vous!

Finalement, dans le doute, assurez-vous que vous parlez à la bonne personne. Vous ai-je dit comment ma conversation avec le pirate s’est terminée? J’ai tout simplement demandé à « mon amie » de me rafraîchir la mémoire en me rappelant où nous nous étions rencontrés. Se sentant repéré, c’est lui qui a mis fin à la discussion.

Morale du conte, si la nuit tous les chats sont gris, sur Internet tout n’est pas net. Oh là, là quel jeu de mots (volontairement) pourri! Guy Mongrain, sors de ce corps!

À la prochaine!

1 « Dormir avec son téléphone allumé comporte des risques », Hitek.fr,

 Ou plutôt « font long feu », mais nous n’entrerons pas dans ce débat sémantique!