Me René Cadieux, président de la section de droit International de l’ABC-Québec, a participé à de nombreuses causes prestigieuses qui ont donné lieu à des précédents dans les plus hautes cours du monde. Portrait d’un avocat natif d’Ottawa qui a beaucoup à dire!
Trouver sa voie
Me René Cadieux n’a pas été d’emblée attiré par le droit. C’est d’abord en sciences qu’il commencera ses études à l’Université d’Ottawa. Mais au cours de sa troisième année d’études, ses amis lui ont dit : « Tu te caches de la réalité; tu vas faire avocat comme ton père », raconte Me Cadieux. Il s’inscrit donc au programme conjoint de droit civil et de common law de l’université et s’y sent immédiatement à l’aise. « J’y étais like a duck to water », résume-t-il.
Au cours de l’été de sa troisième année de droit, il participe à un programme d’échange droit civil - common law à Halifax du ministère de la Justice du Canada. Il y rencontre Wade Maclauchlan, alors professeur de droit constitutionnel et de droit administratif, qui le convaincra de compléter son baccalauréat de common law à l’Université Dalhousie, pour avoir une autre perspective. Ce même professeur lui propose également de participer au lancement du tribunal-école Laskin en 1988. « Je suis toujours un des organisateurs, plus de 25 ans plus tard », précise Me Cadieux.
De retour à Ottawa pour y compléter son programme de formation professionnelle de l’École du Barreau, Me Cadieux décrochera un stage au cabinet Martineau Walker et un travail d’été comme animateur à la Cour suprême du Canada. « C’était l’époque des premières grandes causes qui portaient sur la Charte canadienne des droits et libertés et j’ai pu observer de grands plaideurs à l’œuvre », se rappelle Me Cadieux. L’un de ceux qui impressionneront le plus le futur avocat fut Me Réal Forest, alors avocat du Procureur général du Québec. Lorsque ce dernier fera son retour au cabinet Stikeman Elliott, Me Cadieux, alors stagiaire, ira le rencontrer. Me Forest le prendra sous son aile et l’encourage à sauter dans la mêlée. « Il m’a dit de ne pas me réfugier dans les études et de plutôt aller combattre immédiatement dans les tranchées », illustre Me Cadieux.
Le jeune avocat changera alors de cabinet et ira d’ailleurs rapidement au front avec son nouveau mentor. « Mon premier mandat avec Me Forest a été une attaque en règle de la Loi sur la concurrence fédérale en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et du partage des compétences selon la Loi constitutionnelle de 1867 », raconte Me Cadieux. Ancien professeur de droit constitutionnel et titulaire d’un doctorat en droit international, Me Forest a eu une grande influence sur la carrière de Me Cadieux. « J’ai fait du droit public et constitutionnel avec lui. J’avais un professeur de droit à moi tout seul, alors j’en ai profité… et il m’a fait suer! »
Ce sont notamment les causes en lien avec la Charte canadienne et la Déclaration canadienne des droits qui ont ouvert les portes du droit international à Me Cadieux. Ce dernier explique que les causes dans ce domaine demandent l’étude de plusieurs sources. « Lorsque la Grande-Bretagne a procédé à la décolonisation de son empire, elle a intégré des textes fortement inspirés de la Déclaration canadienne des droits à la constitution des nouveaux pays. Ces pays ont maintenu l’appel au Conseil privé qui interprète des versions similaires du texte, de même que les instruments internationaux portant sur les droits de la personne. »
Laisser sa marque dans les plus hautes cours du monde
C’est avec son mentor qu’il participe à sa première cause qui fait directement appel au droit international. La Civil Aviation Authority (CAA) de la Grande-Bretagne les a recrutés pour poursuivre les Forces armées canadiennes, parce que le ministère de la Défense du Canada ne payait pas sa part des frais de gestion du trafic aérien au-dessus de l’Atlantique Nord lorsque ses aviations se rendaient en Allemagne de l’Ouest ou participaient aux opérations de l’ONU. « L’ironie de la situation, c’est que la CAA ne peut agir en justice en dehors du territoire britannique qu’au nom de la Reine d’Angleterre elle-même et que, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, la personne qui est à la tête des Forces armées canadiennes est… la Reine d’Angleterre en sa propre personne! », souligne Me Cadieux.
Sa cause internationale suivante allait le plonger de plein pied dans l’univers du droit international. Me Cadieux sera alors l’avocat de Groupe ADF inc., une entreprise de Terrebonne qui a obtenu le contrat pour fournir les poutres d’acier des ponts et des superstructures lors de la réfection de l’autoroute américaine I-95 en Virginie. Le projet est essentiellement financé par une subvention du Congrès et est donc soumis à la clause Buy America qui oblige à se procurer des biens fabriqués aux États-Unis. La prescription de résultat qui en découle empêche dans les faits ADF de respecter le contrat. L’entreprise canadienne poursuit donc les États-Unis en vertu du Chapitre 11 de l’ALÉNA devant le tribunal d’arbitrage de la Banque mondiale, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Cette expérience a été « très formatrice, car le Chapitre 11 de l’ALÉNA avait été très peu évoqué auparavant, affirme Me Cadieux. Ce chapitre constitue une protection pour les entreprises étrangères contre des mesures étatiques injustifiées. Une obligation imposant la clause Buy America est explicitement prohibée pour ce qui est des mesures fédérales. Nous avons finalement perdu, le Tribunal d’arbitrage considérant qu’il existait une exemption implicite non écrite pour les achats uniquement subventionnés. Il faut souligner que les États-Unis n’ont jamais perdu dans ce type de différends, ce qui est, à tout le moins, une anomalie statistique impressionnante. »
C’est ensuite le développement économique de l’Europe de l’Est, rendu possible par la chute du rideau de fer, qui ramènera Me Cadieux devant le CIRDI de la Banque Mondiale. La filiale d’investissement d’Aéroports de Montréal (ADM) s’est jointe à un consortium pour investir dans la construction du nouvel aéroport international de Budapest en Hongrie par l’intermédiaire d’une structure corporative chypriote sélectionnée par le gouvernement hongrois. L’aéroport devient rapidement rentable et est alors exproprié lors d’un changement du parti au pouvoir. Les membres européens du consortium seront compensés pour protéger la cote de crédit de la Hongrie vis-à-vis les banques européennes, mais pas les canadiens. « Lorsqu’on m’a approché pour identifier un recours, j’ai immédiatement découvert l’existence d’une entente bilatérale de protection des investissements, du même type que celui du Chapitre 11 de l’ALÉNA, entre la Hongrie et Chypre. Il y a maintenant près de 3 000 de traités bilatéraux de ce genre entre les divers pays du monde, relate Me Cadieux. Nous avons donc entamé, avec des confrères représentant les contracteurs, une poursuite contre la Hongrie au nom d’ADM. » Le cas présentait également la particularité que le bien exproprié avait gagné en valeur depuis qu’il était passé aux mains de l’État avant d’être ensuite revendu à des intérêts britanniques. « Le point de droit à établir était de déterminer quelle partie devait profiter de cette augmentation de la valeur, explique Me Cadieux. Nous avons gagné ce différend et ça a été un précédent mondial qui a été qualifié de "visible shift in the tectonic plates" du droit international coutumier en la matière. »
L’une des premières auditions de la cause a eu lieu dans les locaux de la Cour internationale de justice à La Haye. Se trouver à cet endroit a été très émouvant pour Me Cadieux : « J’ai réalisé que j’étais plus jeune que mon père quand il y est allé lui-même pour représenter le Canada, et je n’arrivais pas à croire que j’étais là moi-même. Je me suis permis de faire le tour des lieux en me demandant où mon père avait déambulé ».
Récemment, dans une poursuite contre la République démocratique du Congo, toujours devant le CIRDI, une injonction provisoire à titre de mesure conservatoire a été obtenue contre le Congo, ce qui est également « rarement vu en droit international impliquant la responsabilité des États ». La cause portait sur une triple confiscation par l’État congolais des intérêts d’une compagnie minière canadienne opérant au Congo, First Quantum Minerals, dont les opérations visaient notamment la réhabilitation et l’assainissement d’un site minier abandonné, en coopération avec le gouvernement de l’Afrique du Sud et la filiale de développement de la Banque mondiale, avec qui Me Cadieux agissait avec des avocats de Vancouver, Washington, Paris et Bruxelles. La décision interlocutoire du Tribunal d’arbitrage dans la cause plaidée à Zurich précipitera par la suite un règlement de l’ordre de 1,5 milliard de dollars américains.
En ce moment, Me Cadieux examine la conformité de la règlementation tarifaire avec le droit international des investissements pour ce qui est de l’un des ports les plus importants en Amérique du Sud.
Malgré ce palmarès impressionnant, Me Cadieux n’a pas été formé en droit international et se présente comme un autodidacte. « Le baccalauréat en droit nous montre à s’enseigner à soi-même. J’ai passé (et je passe toujours) des mois à lire sur le droit international », affirme-t-il. Il ajoute que « le droit international peut toucher tous les domaines du droit et observe tous les systèmes juridiques : il faut apprendre à apprendre vite, y compris le droit fiscal congolais! »
Partager l’expertise au sein de l’ABC-Québec
Membre de l’ABC-Québec depuis 1989, il s’est joint au comité exécutif de la section de droit international en 2011 à titre de vice-président avant d’en assurer la présidence en 2014-2015. Me Cadieux décrit son rôle de président comme étant celui de « rendre accessibles des experts dans le domaine, qui ne le seraient pas autrement, à la communauté juridique grâce à des conférences. » Le comité exécutif de la section « fonctionne par consensus et est formé d’enthousiastes du droit international public ou privé, ajoute-t-il. Tous peuvent s’y joindre. »
La prochaine formation de la section portera sur l’évolution du projet de libre échange entre le Canada et l’Union européenne. « Cet accord aura un impact important sur les entreprises canadiennes et, par ricochet, sur nos relations avec les États-Unis. C’est une problématique en pleine émergence et nous présenterons des conférences à mesure qu’il y aura des développements dans le texte de l’entente proposée et selon la dynamique en évolution constante », explique Me Cadieux. Il faudra donc suivre ce dossier au cours des prochains mois.