Directives médicales anticipées

  • 15 décembre 2015
  • Me Jean Lambert, notaire, Chambre des notaires du Québec

Que s'est-il passé le 10 décembre dernier? C'était l'entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie, cette loi québécoise d'avant-garde au Canada qui élargit la gamme des soins de fin de vie pour y inclure l’aide médicale à mourir.

Mais où est notre défi?

On a très peu parlé de l'un des trois volets qui constituent les soins de fin de vie visés par cette loi, soit les Directives médicales anticipées (DMA), qui diffèrent en importance des deux autres, soit la sédation palliative et l’aide médicale à mourir. En effet, les DMA de par leur vocation universelle, nous intéressent tous, car aux termes des articles 51 et 52 de la loi, le législateur a mis à la disposition des citoyens un instrument juridique qui leur permet d'exprimer à l'avance leur consentement ou leur refus de se voir administrer certains soins dans l’éventualité d’une inaptitude survenant en fin de vie.

Quel avenir nos concitoyens réserveront-ils à ce nouvel instrument de planification de leurs soins de fin de vie? Les paris sont ouverts!

En 1989, la même question s’est posée lorsque, à notre initiative, le législateur a introduit le mandat de protection en prévision de l’inaptitude dans le Code civil du Bas-Canada. On connaît aujourd’hui le succès qu’a connu et continue de connaître auprès de nos concitoyens cet instrument juridique de planification de leur vie, de protection de leur personne et de leur patrimoine en cas d’inaptitude, séduits qu’ils sont par le principe autonomiste qui en constitue le fondement. Et on doit aux notaires, par leur approche préventive du droit, d’avoir assuré cette réussite inédite.

Nous croyons que les notaires sauront de nouveau être à la hauteur de cette nouvelle responsabilité que vient de leur confier l’État. Je suis certain que nous saurons mieux qu’un ministère ou une agence gouvernementale en faire la promotion auprès des nombreux citoyens qui franchissent chaque jour le seuil de nos études.

Alors, mettons-nous au travail!

Pour ceux qui n’y étaient pas présents, je résume ici certains éléments d’un texte qui complète la conférence que j'ai prononcée lors du dernier congrès de la Chambre des notaires du Québec tenu en septembre dernier et qui doivent être connus des notaires avant que ceux-ci ne reçoivent leurs premiers actes contenant des directives médicales anticipées.

La loi concernant les soins de fin de vie (ci-après la loi) édicte que les DMA doivent être reçues par acte notarié portant minute ou faites devant témoins sur le formulaire prescrit par le ministre de la Santé et des Services sociaux. Un groupe de travail multidisciplinaire, réunissant médecins, infirmières et juristes a œuvré pendant huit mois pour mettre au  point le formulaire prescrit, lequel a servi de canevas à la conception du registre des DMA, également créé en vertu de la loi, et dont la gestion a été confiée à la Régie de l’assurance maladie du Québec par le ministre. Ce formulaire ne peut être modifié d’aucune façon; il est obligatoire d’y recourir pour établir ses DMA si on ne le fait pas par acte notarié.

Il ne convient pas ici de reprendre dans le détail l’exposé des motivations qui ont guidé le groupe de travail dans sa démarche arrêtant ses choix sur le contenu et la facture du formulaire prescrit. Qu'il suffise de mentionner que le sujet se prêtant aisément à interprétations multiples, tant pour l'auteur des DMA que pour les professionnels de la santé qui éventuellement devront leur donner suite, la prudence et le consensus des acteurs du milieu médical ont réduit la portée substantielle que ce formulaire aurait pu autrement avoir. Nous y reviendrons.

Un modèle d’acte imposé

Par un identique souci de prudence et de cohérence avec les travaux du groupe d'experts, la Chambre des notaires a exceptionnellement imposé aux notaires un modèle d’acte prescrit pour les DMA à être reçues par acte notarié, où formellement il n'y a pas place à la créativité. À l'instar de notre registre des dons d’organes où l'information qui est donnée aux professionnels de la santé correspond à une clause déterminée et immuable, l'image que les médecins verront sur leur écran de consultation du registre des DMA devra être tout à fait compatible avec celle que leur enverra le formulaire rempli devant témoins. Les notaires devront donc n’utiliser que ce modèle d’acte qu’ils pourront trouver sur l’Inforoute notariale. Ce modèle d’acte est disponible dans le Répertoire de droit, Nouvelle série, au titre Directives médicales anticipées.

La loi a donné suite à la recommandation de la Commission spéciale mourir dans la dignité qui déplorait que les directives médicales données par anticipation étaient le plus souvent ignorées par le personnel soignant qui ne s'y sentait pas lié. Les DMA ont donc une force légale contraignante qui les impose. On doit les respecter sans discussion si elles n'ont pas été révoquées.

Le groupe de travail a donc limité la portée de cet instrument à trois situations de fin de vie où la problématique du refus de soins se pose le plus souvent, soit :

  1. Un état de santé grave et incurable;
  2. Une situation d'atteinte sévère et irréversible des fonctions cognitives (exemple : état comateux irréversible ou état végétatif permanent);
  3. Une atteinte irréversible des fonctions cognitives à un stade avancé sans possibilité d’amélioration (exemple : démence de type Alzheimer).

 Pour chacune de ces situations, cinq soins précis ont été retenus, soit : 

  1. la réanimation cardiorespiratoire;
  2. la ventilation assistée (respirateur);
  3. la dialyse rénale;
  4. l'alimentation forcée ou artificielle;
  5. l'hydratation forcée ou artificielle.

 La valeur ajoutée par le recours à l'acte notarié est donc ailleurs que dans le contenu de l'acte. On la trouve dans la phase de la préparation et de conseil à laquelle s’ajouteront la fiabilité de l'identité de l'auteur comparant et de la signature volontairement et librement donnée en absence de tout contexte de pression et de captation. Le notaire qui invite son client à tirer profit de cet instrument de planification de ses soins de fin de vie devra, préalablement à la rencontre, l’inviter à s’informer sur la portée de chaque soin auquel il est appelé à consentir ou non à l'avance et les conséquences sur la qualité de cette vie et de sa longévité.
 
Avons-nous le choix d'être à la hauteur de cette nouvelle responsabilité que l'État vient de nous confier? La Commission spéciale mourir dans la dignité a formulé à l'égard de l'acte notarié un commentaire que je qualifie d’élogieux en affirmant que pour les DMA,   « […] la forme notariée demeurant toutefois idéale puisque sa valeur ne peut être remise en cause ».

Le défi de ne pas décevoir est nôtre.

Collaboration de la : Chambres des notaires

 

 

Les directives médicales anticipées (« DMA ») en bref

  • La Loi concernant les soins de fin de vie entre en vigueur le 10 décembre 2015.
  • Les DMA servent à toute personne majeure (et apte à consentir aux soins) à indiquer à l’avance aux professionnels de  la santé les soins médicaux qu’elle accepte ou refuse de recevoir dans certaines situations précises.
  • Les DMA ont la même valeur que les volontés exprimées par une personne apte à consentir aux soins.
  • Seul le tribunal peut invalider ces DMA.
  • Les DMA priment sur les directives indiquées dans un mandat de protection.
  • Les DMA peuvent être faites devant témoin, au moyen du formulaire prescrit par le ministre de la Santé et des Services sociaux;
  • Les DMA peuvent être reçues devant notaire au moyen du modèle d’acte prescrit par la Chambre des notaires et accessible au Répertoire de droit par l’Inforoute notariale.
  • La formation en Webdiffusion sur les DMA, accessible par l’Inforoute notariale devrait idéalement être suivie par le notaire qui décide de recevoir des DMA.
  • Le notaire doit inviter son client, avant la séance de signature, à s’informer auprès des professionnels de la santé de la nature des soins auxquels il sera appelé à consentir à l’avance et des conséquences d’un refus de soins sur la qualité et la longévité de sa vie.
  • Le versement des DMA au registre de la RAMQ n’est pas obligatoire, mais c’est le meilleur moyen à utiliser pour qu’elles soient connues des professionnels de la santé. Toutefois, en raison d’un imbroglio législatif, la possibilité de verser les directives médicales anticipées à ce registre a été reportée par le ministère de la Santé et des Services sociaux à une date indéterminée. Pour l’heure, la seule façon d’assurer une diffusion minimale de ces directives médicales anticipées est d’en remettre une copie certifiée conforme au professionnel de la santé qui devra alors les verser au dossier médical de l’auteur des directives.
  • Le notaire reçoit les DMA au moyen du modèle d’acte prescrit par la Chambre et en produira éventuellement une copie conforme au registre de la RAMQ, selon les modalités suivantes :
    • La copie doit être en format « PDF/A »;
    • La copie, au choix du notaire instrumentant, est :
      • Une numérisation de l’acte notarié original sur support papier; ou
      • Un document électronique contenant le texte intégral des DMA notariées;
        • mais contenant, dans tous les cas, les mentions requises par la loi, par exemple, la mention « copie conforme de l’original demeuré en mon étude » ou toute autre mention similaire.
        • On ne peut requérir l’aide médicale à mourir dans ses DMA.
        • L’auteur est présumé avoir obtenu l’information nécessaire à sa décision libre et éclairée.
        • Cinq soins sont visés par les DMA qui sont rattachés à trois situations de fin de vie.
        • Les DMA ne peuvent être modifiées qu’en rédigeant de nouvelles DMA (devant témoins ou par acte notarié en minute).
        • Les DMA peuvent être révoquées verbalement en cas d’urgence ou, pour toute autre situation, en utilisant le formulaire de la RAMQ. 

Les avantages juridiques des DMA notariées : un acte difficilement contestable

Le notaire assure :

  • la garantie de l’identité du comparant;
  • que la personne est majeure et apte à donner son consentement ou son refus de recevoir certains soins médicaux;
  • que le consentement est éclairé et donné librement;
  • que la personne s’est bien informée des conséquences que comporte un refus de soins.

Enfin, la forme notariée est idéale puisque sa valeur ne peut être remise en cause. D’un point de vue personnel, le notaire qui recueille les DMA de son client l’accompagne dans un moment d’exception pour ne pas dire profondément émotif. C’est là que la notion du notaire de famille prend tout son sens.