Selon le rapport Les problèmes juridiques de la vie quotidienne, publié par le Ministère de la Justice du Canada en 2007, 44,6 % des Canadiens seront aux prises avec au moins un problème juridique civil sur une période de trois ans. Les problèmes juridiques se présentent rarement de façon isolée. Un problème juridique (par exemple, le harcèlement en milieu de travail) en cause souvent d’autres (par exemple, mesures disciplinaires, congédiement injuste, assurance-emploi) et mène souvent à d’autres types de difficultés (par exemple, santé mentale et physique, effets sur la famille et les relations interpersonnelles). Près de 40 % des personnes ayant un ou des problèmes juridiques éprouvent des problèmes sociaux ou de santé qu’ils attribuent directement à leur(s) problème(s) juridique(s).
De nombreux rapports font le constat qu’entre ceux et celles qui sont admissibles à l’aide juridique et ceux et celles qui ont les moyens d’engager un avocat, se trouvent un ensemble d’individus qui sont incapables d’avoir accès à la justice civile. L’augmentation exponentielle de justiciables qui se représentent seuls devant les tribunaux – environ 50 % dans les instances familiales au Canada – n’en est qu’une manifestation concrète.
Plus difficiles à mesurer sont ceux et celles qui abandonnent complètement, notamment parce qu’ils ou elles croient que rien ne peut être fait, sont incertain(e)s quant à leurs droits, ne savent pas quoi faire, ne peuvent consacrer le temps et l’énergie à leur cause, ou ont tout simplement peur. Non quantifiables sont les sentiments d’exclusion sociale éprouvés par ceux et celles qui affrontent le système sans soutien adéquat.
L’aide juridique n’est pas une solution complète à cette crise, mais elle en fait partie intégrante. Des sondages confirment d’ailleurs un appui décisif en faveur de l’aide juridique, avec 65 à 74 % des répondants affirmant que celle-ci devrait recevoir la même priorité et le même financement que d’autres services sociaux importants.
Malgré cela, le rapport Atteindre l’égalité devant la justice, publié par l’Association du Barreau canadien en 2013, indique que les fonds consacrés à l’aide juridique en matière civile ont baissé de 20 % depuis 1994. Entre 1992 et 2012, le nombre de demandes d’aide juridique approuvées en matière civile a baissé des deux tiers.
Selon le World Justice Project de 2011, le Canada se place au 54e rang mondial sur 66 pays en ce qui concerne l’aide juridique en matière civile, derrière de nombreux pays ayant un PIB inférieur, et derrière les États-Unis, 50e au monde selon cet indicateur.
Dans le cadre de la présente campagne électorale, alors que l’économie est, pour plusieurs, l’enjeu principal et la classe moyenne le public cible, l’accès à la justice devrait être à l’avant-plan. En effet, bien que les études canadiennes approfondies sur le sujet en soient encore à leurs débuts (le rapport du Forum canadien de la justice civile est prévu pour 2016), des études réalisées dans d’autres pays sont révélatrices quant au rendement social que rapportent les investissements dans l’aide juridique. Selon des études ayant examiné la situation en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, chaque dollar dépensé dans ce domaine se traduit par 2 $ à 18 $ d’économie de fonds publics dans d’autres domaines.
Il est incontestable que les problèmes juridiques non résolus engendrent des coûts pour l’individu ainsi que pour les familles, les entreprises et la société dans son ensemble. L’investissement dans l’aide juridique devrait faire partie d’une stratégie globale non seulement de redressement, mais aussi de prévention.
Pourquoi l’accès à la justice ne figure-t-il pas à l’agenda de la campagne?
Le rapport de l’ABC identifie quatre obstacles systématiques aux efforts visant à assurer l’égalité devant la justice, notamment un manque de sensibilisation de la population et des lacunes dans la stratégie et la coordination. Plus fondamentalement, il évoque la dévaluation de la justice comme bien public.
Dans le cadre du projet « justicepourtous », l’ABC a préparé une trousse de participation électorale contenant des questions, des faits et des messages clés afin de faciliter la participation et encourager ses membres à mettre l’accès à la justice à l’agenda. Tant et aussi longtemps que les électeurs ne feront pas de l’accès à la justice une priorité, elle ne le sera pas non plus pour les élus.
L’ABC a d’ailleurs invité les chefs de chacun des principaux partis politiques à répondre à trois questions concernant l’accès à la justice.
À propos des auteurs
Me Mathieu Bouchard est secrétaire de l’ABC-Québec et membre de l’exécutif du Conseil national des sections.
Me Audrey Boctor est présidente sortante de la section de droit Administratif de l’ABC-Québec et trésorière de la Section nationale du droit Administratif.