Alors que la faible présence des femmes à la tête des grandes entreprises fait les manchettes jusque dans le New York Times, la situation n’est pas plus rose du côté canadien. L’ABC a donc adopté en août dernier une résolution exhortant les gouvernements fédéral et provinciaux d’adopter le modèle « conformité ou explication ». Le Forum des femmes juristes de l’ABC-Québec entreprend de consulter ses membres sur les moyens qu’ils souhaitent privilégier pour favoriser une meilleure équité au sein des conseils d’administration.
Deux artisanes du projet du Forum des femmes juristes, Me Danielle Ferron, vice-présidente, et Me Marie Dupuis, membre, discutent de la situation et de leurs objectifs.
La réflexion qui a mené à ce projet de sondage « a commencé suite à la conférence du Forum des femmes juristes de juin 2014, intitulée Femmes aux conseils d’administration : constats et pistes de solutions, qui regroupait Mme Monique Jérôme Forget, Mme Anne-Marie Hubert et Me Sonia Struthers », raconte Me Ferron, modératrice de ce panel. La conférence avait été très bien accueillie et les avancées dans le domaine étaient dans l’air du temps. Quelques semaines plus tard, l’Autorité des marchés financiers a adopté sa politique de « conformité ou explication » alors que, quelques mois plus tôt, c’était la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario qui l’avait fait.
La présence des femmes dans les conseils d’administration aujourd’hui
« Le rapport Wilson sur l’égalité des sexes dans la profession juridique a maintenant plus de 20 ans et la situation n’a pas beaucoup évolué », rappelle d’entrée de jeu Me Ferron. Cette absence d’évolution se reflète également sur les conseils d’administration. En effet, en juin 2014, le Conseil consultatif fédéral pour la participation des femmes publiait un rapport dans lequel il affirmait que les femmes occupaient seulement 16 % des sièges des conseils d’administration des 500 plus grandes entreprises publiques et privées canadiennes. De son côté, la Table des partenaires influents publiait un rapport en avril 2013 indiquant que les femmes occupaient environ le même faible pourcentage des sièges au conseil d’administration des 50 plus grandes sociétés québécoises publiques, et même, que 26 % d’entre elles ne comptaient aucune femme au sein de leur conseil.
Il existe trois attitudes face au manque de représentation des femmes dans les conseils d’administration : un, ne rien faire, deux, l’approche « se conformer ou s’expliquer », et trois, l’adoption de quotas. Bien que Me Ferron soit ouverte à l’approche « se conformer ou s’expliquer », elle ajoute que « malheureusement, il semble que sans mesure coercitive, rien ne se passe. »
Au Canada , c’est l’approche « se conformer ou s’expliquer » qui est actuellement privilégiée. Par exemple, l’Autorité des marchés financiers demande aux entreprises cotées en bourse de décrire la composition de leur conseil d’administration dans leur rapport annuel, incluant le nom des membres, le terme de leur mandat, les démarches pour les remplacer et le plan pour atteindre une meilleure équité. « Au Canada, on se base donc sur la pression des pairs et du public pour que plus de femmes siègent dans les conseils d’administration », résume Me Ferron. « L’approche "se conformer ou s’expliquer" par rapport aux quotas, c’est la différence entre une mesure incitative par rapport à une mesure coercitive », renchérit Me Dupuis.
Pourtant, dans les sociétés d’État québécoises, les conseils d’administration doivent être composés à 50 % de femmes, et on a pu voir qu’ici, l’imposition de quotas a eu des impacts non négligeables. Mais ce type de mesure ne plait pas à tous selon Me Ferron : « Pour certains, cela donne l’impression qu’une personne est nommée seulement parce qu’elle est une femme, et non parce qu’elle est compétente. Mais de nos jours, ce discours n’a plus sa raison d’être. Il y a beaucoup de femmes compétentes pour occuper ces fonctions, dont entre autres plusieurs membres de l’ABC. »
En Europe, certains pays ont adopté l’approche des quotas, comme l’Allemagne qui exige que 30 % des membres des conseils d’administration des compagnies publiques soient des femmes. « Si cette proportion n’est pas atteinte, les postes destinés aux femmes restent vacants », explique Me Dupuis. Elle ajoute que « l’approche européenne pourrait inciter les entreprises publiques au Canada à améliorer leur bilan pour éviter de se voir imposer de telles mesures. »
Ouvrir la porte des directions d’entreprise
Il y a 20 ans, faire partie d’un conseil d’administration était une question de contacts, il fallait connaître les bonnes personnes. Mais depuis, les réseaux de femmes se sont multipliés, ce qui a amélioré leur accès à ces fonctions. Me Ferron fait d’ailleurs entre autres partie de l’Association des femmes en finance du Québec (AFFQ), où elle siège sur le conseil d’administration depuis 2006, et dont l’environnement de réseautage permet à plus de femmes d’obtenir des postes dans les conseils d’administration. L’AFFQ a d’ailleurs instauré un comité dédié à promouvoir et faciliter l’accès des femmes sur des conseils d’administration.
Le droit relatif aux conseils d’administration a également évolué, notamment en matière de devoirs et de responsabilités. « Il existe de plus en plus de formations entourant les responsabilités et les devoirs des membres de conseils d’administration», rapporte Me Ferron.
Des études effectuées par Catalyst, une organisation internationale qui a pour mission d’inciter les entreprises à créer un environnement inclusif pour les femmes, ont d’ailleurs prouvé que la diversité dans les conseils d’administration concordait avec une meilleure santé financière et une meilleure profitabilité des entreprises.
Les suites du sondage
« Nous sondons les membres afin de savoir s’ils préconisent des mesures de type "conformité ou explication", comme celles qui viennent d’être adoptées, ou encore des mesures plus corsées telles que des quotas », explique Me Dupuis. Le Forum des femmes juristes passera à l’action selon les résultats de la consultation. « Nous confirmerons notre appui à la position de l’ABC si c’est que les membres souhaitent. S’ils préfèrent l’utilisation de mesures plus contraignantes et coercitives, nous ferons la promotion de ces changements », déclare-t-elle.
L’ABC, puisqu’elle regroupe des avocats et des avocates qui ont les compétences pour siéger sur des conseils d’administration et qui représentent la justice est en position de faire une différence. « L’ABC est certainement bien placée pour faire pression pour favoriser une meilleure représentation des femmes dans les conseils d’administration, dans la mesure où c’est ce que nos membres désirent », résume Me Ferron. Le Forum restera attentif à l’évolution de la situation : « Si les statistiques sur la présence des femmes dans les conseils d’administration restent désolantes, nous continuerons à travailler activement sur ce dossier », conclut Me Dupuis.
Répondez au sondage La présence des femmes sur les conseils d’administration
Lien utile :
Règlement modifiant le Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance