Démystifier le droit militaire canadien

  • 12 septembre 2016
  • Stéphanie Parent, ABC-Québec

Le droit militaire reste méconnu de la plupart des avocats en pratique privée. Les aperçus anecdotiques transmis par les médias généralistes et les références cinématographiques telles que A few good men (V.F. Des hommes d’honneur) constituent l’essentiel de leurs connaissances. Ce constat a motivé Me Pascal Lévesque, doctorant en droit à l’Université Queen's, d’organiser la formation Le droit militaire canadien : un droit spécialisé pour un contexte unique qui aura lieu le 13 octobre prochain dans les locaux de l’ABC-Québec à Montréal. Ce sera également l’occasion d’évaluer l’intérêt de la communauté juridique québécoise et une vitrine pour la création d’une éventuelle section de droit militaire au niveau de la Division.

« Souvent, les avocats en pratique privée vont refuser de prendre des cas en lien avec le droit militaire, car ils ne le connaissent pas », indique Me Lévesque. Cette conférence sera donc non seulement pertinente pour la culture personnelle des juristes, mais leur donnera le contexte et la nomenclature nécessaires pour trouver les lois et règlements et, si le client est un militaire ou un ancien militaire, de pouvoir mieux le référer. De leur côté, les jeunes juristes et les étudiants découvriront si une carrière en droit militaire pourrait les intéresser.

Pascal Levesque

Selon Me Lévesque, l’un des principaux mythes à propos du droit militaire, c’est qu’il s’agirait d’un droit « caché ». « Pourtant, la justice militaire canadienne est l’une des plus transparentes, notamment plus que celle de nos voisins du Sud, expose le doctorant. En principe, toutes les décisions sont publiées (hormis celles pour lesquelles une ordonnance de non-publication a été prononcée) et seules les décisions sommaires ne se retrouvent pas sur CanLII. » L’information juridique est disponible et les procès militaires sont publics, hormis les cas de huis clos.

Les fondements du droit militaire

Le droit militaire canadien tire ses origines du droit britannique. C’est l’apparition d’une force permanente et professionnelle et la complexification des règles qui l’accompagnait qui a amené le développement de la profession juridique militaire. Ce domaine de pratique repose sur trois piliers : le droit administratif militaire, le droit opérationnel militaire et la justice militaire.

Le droit administratif militaire, porte sur l’organisation et la gestion des ressources principalement humaines (à l’exception de la justice militaire), mais aussi financières et matérielles par les militaires. Cela inclut notamment la solde, les avantages sociaux, les promotions et les mutations. Les commissions d’enquêtes des forces canadiennes sont régies par ce droit. Il s’occupe également des questions de pension et de libération. Les juristes en pratique privée peuvent avoir à faire appel à ce domaine du droit, par exemple, dans le cas où un client militaire veut déposer un grief contre une décision l’affectant ou lorsqu’un ancien combattant conteste le montant de sa pension d’invalidité pour une condition médicale liée au service militaire.

Le droit opérationnel encadre la planification, le déploiement et l’emploi de la force militaire. Les règles qui encadrent la manière de choisir les cibles à attaquer et les relations avec les autorités civiles à l’étranger y sont notamment enchâssées. « Les avocats militaires font beaucoup de formation et de prévention dans ce domaine », raconte Me Lévesque. Ce pilier décrit aussi les règles d’intervention des forces canadiennes lorsqu’elles sont au pays. Ainsi, elles doivent avoir l’autorisation des pouvoirs publics avant de se rendre sur le terrain en cas de catastrophe naturelle ou d’événement nécessitant une sécurité accrue, comme les Olympiques, ce qui explique les délais avant l’arrivée des militaires sur les lieux.

Enfin la justice militaire, c’est le droit régissant les inconduites des militaires par un processus pénal. Elle définit notamment qui a autorité sur le militaire. Son aspect curatif s’illustre par la Cour martiale et les procès sommaires. En effet, les combattants doivent suivre un code de discipline pour être considérés combattants légitimes et bénéficier du traitement prévu pour les prisonniers de guerre dans le cas où ils seraient capturés. L’observance d’un code de discipline par les militaires est une exigence impérative du droit international humanitaire visant aussi à protéger les non-combattants.

Beaucoup de pays ont abandonné le système des cours martiales pour donner juridiction aux tribunaux civils lorsque les militaires sont accusés d’avoir commis des infractions criminelles. Le Canada est à cet égard un cas relativement unique puisqu’il a conservé ce système de justice militaire ayant ses propres particularités. Au-delà des différences nationales, il s’agit d’éviter au final que le droit militaire n’évolue en vase clos et de faire sorte qu’il soit harmonisé avec la société civile. « C’est un droit flexible, pas dans ses principes, mais dans son application qui doit se faire en toute circonstance », précise Me Lévesque.

Des points de vue différents

Les avocats formés en common law et ceux qui ont appris le Code civil envisagent chacun le droit militaire à leur manière. « Les avocats de common law vont du particulier au général, et ceux du Code civil, vont du général au particulier », illustre l’ancien avocat militaire. Notons que le bijuridisme influence le droit fédéral depuis 1970, mais que la common law demeure dominante.

Ancien avocat militaire et maintenant doctorant à l’Université Queen’s, Me Lévesque a pour sa part un point de vue privilégié sur le droit militaire canadien. Toujours « branché sur le milieu », il reste au courant de ce qui s’y passe, mais profite d’un certain recul. « Cette distance me permet de faire des analyses fines et d’apporter des suggestions, affirme-t-il. C’est une position idéale. » Il juge d’ailleurs de son devoir, en tant que membre du Barreau du Québec de souligner les points à améliorer. L’avocat est notamment le premier à étudier le droit militaire canadien au niveau du doctorat au pays.

La conférence du 13 octobre 2016, où Me Lévesque agira comme modérateur, sera donc l’occasion idéale de profiter de ce point de vue unique pour découvrir ce domaine de droit.