Cet été, je suis tombé sur une multitude de listes de lecture destinées aux étudiants et futurs étudiants en droit rédigées par avocats et professeurs de la tradition de la common law. Compte tenu des différences culturelles et linguistiques du système de droit civil, j'ai mené un sondage auprès des professeurs de droit civil à l'Université d'Ottawa afin d'établir une liste de lecture recommandée aux étudiants de droit civil québécois. Surtout par son caractère arbitraire, cette liste de lecture est révélatrice des présomptions et des courants de pensée juridique orthodoxes chez les juristes québécois.
Voici les quatre recommandations de lecture les plus prisées par les professeurs de droit civil de l'Université d'Ottawa.
Introduction à l’étude du droit par André Émond et Lucie Lauzière
Ce court bouquin (comptant un peu plus de 200 pages) très bien structuré était le manuel pour mon cours d’introduction à la mineure en droit civil enseigné par l’ancienne doyenne Nathalie Desrosiers. Il donne un « portrait » du droit comme discipline scientifique visant à établir une théorie d’application universelle et élabore des techniques d’application dans des cas précis. Cette vision instrumentale est surtout manifeste dans leur chapitre sur « les principales techniques relatives aux sources du droit » dans lequel la présomption de la chose jugée est présentée comme le descriptif d’un outil avec conditions d’application et les conséquences pratiques de sa mise en œuvre. Un livre similaire, Introduction au droit canadien par André Émond, a aussi été suggéré.
Fragments de droit québécois et canadien – Histoire, mixité, mutations par Marie-Eve Arbour
Cet ouvrage historique de référence souvent trouvé sur les listes de matériel pédagogique offre un panorama général du système juridique québécois. Ce livre n’est pas une introduction au droit positif, mais plutôt un ouvrage pédagogique visant à décrire les particularités du système de droit québécois et ce qui le distingue du système juridique canadien et des autres systèmes juridiques.
Le sens des lois : histoire de l'interprétation et de la raison juridique par Benoît Frydman
Ce livre raconte l’histoire plutôt mal connue (selon l’auteur) de la science de l’interprétation juridique, de l’Antiquité à nos jours, sans pour autant décerveler la matière. Malgré la taille de cette brique de 700 pages, l’auteur démontre de grands talents de synthèse et écrit de façon propice à la citation. En parlant du juge athénien de l’époque d'Aristote, l’auteur écrit : « Il n’y a donc pas de vérité accessible dans l’application des règles juridiques, mais seulement des solutions plus ou moins acceptables, adéquates, opportunes. Les questions judiciaires ne se démontrent pas ; elles se discutent » (p. 45). La grande force de ce livre réside dans le talent de l’auteur à nous faire sentir la complexité cachée d’appliquer des mots, des phrases ou des instruments à des contextes précis, c’est-à-dire l’opération intellectuelle du juriste.
Discours préliminaire du projet de Code civil français
Ce discours donné par Portalis, au nom des commissaires chargés de la rédaction du Code Napoléon, constitue une « charte du droit civil moderne » selon les professeurs sondés. Malgré le climat politique de l'époque, ce discours est toujours pertinent pour le juriste québécois afin de mieux comprendre la portée et la généalogie intellectuelle de notre Code civil. Avec une éloquence intemporelle, Portalis exprime à la fois l'objectif optimiste et le défi impossible de codification, dont « le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout ».