Avant d’être avocat, Me Denis Paquin, associé au cabinet Fasken Martineau, a enseigné l’histoire du Canada à l’Université d’Alberta malgré son « niveau de bilinguisme limité » à l’époque, selon ses propres mots. Une fois membre du Barreau du Québec, il a pratiqué le droit tant en entreprise qu’en cabinet. Faites la rencontre d’un des conférenciers phares de l’ABC-Québec qui a décidé, après une quinzaine d’années, de mettre un terme à cette « carrière » chez l’ABC-Québec.
Une audace qui paie
Mi-août 1972. À quelques semaines de ses 23 ans, Denis Paquin, sur le point de compléter une maîtrise en histoire, accepte un poste de professeur à l’Université d’Alberta débutant… à la mi-septembre. « Il fallait être un peu fou », résume-t-il. Arrivé avec une certaine limitation au niveau de la conversation en anglais, il en vient à penser dans la langue de Shakespeare au bout de quelques semaines, ce qui lui facilite la vie. Avant la fin de l’année académique, il aura réussi à convaincre ses étudiants de se présenter un samedi pour une simili conférence fédérale-provinciale leur permettant d’actualiser la matière apprise en cours d’année. Après avoir décidé de ne pas renouveler son contrat à Edmonton, il passera un an à enseigner l’anglais sur la Côte-Nord. « Ça m’a aidé dans ma carrière d’être professeur, car ça prenait du guts à l’âge que j’avais », affirme l’avocat.
Lorsque le jeune Denis Paquin doit décider s’il poursuit ses études en histoire, les possibilités d’emploi en enseignement au Québec lui apparaissent limitées. Il entreprend donc son droit à l’Université d’Ottawa, attiré par le « défi intellectuel » de la discipline.
Me Paquin a débuté sa carrière juridique à Montréal dans un petit cabinet qui doit le laisser aller, quelques années plus tard, suite au départ de l’un des principaux associés. Son expérience en enseignement (et le culot que cela démontrait) lui a alors permis de décrocher un poste de conseiller juridique pour la chaîne de commerce au détail Zellers où il travaillera dans le domaine de l'immobilier. Il sera ensuite conseiller juridique pour le groupe Rona.
Sa connaissance du milieu du commerce de détail lui a fait comprendre l’importance du terrain. Il s’en est servi pour se faire embaucher chez Steinberg Inc., défunte chaîne d’épiceries. « Lors d’une entrevue, il faut démontrer que l’on peut apporter quelque chose de plus, affirme l’avocat. J’ai donc pris quelques journées pour visiter des centres commerciaux que l’entreprise possédait (via sa filiale Ivanhoé Inc.) dans la région de Montréal, afin d’évaluer les défis et opportunités qui pouvaient se présenter en regard d’un site ou d’un autre. » Il était déjà conscient de l’importance de connaître « la business » de ses clients.
En 1990, suite à la vente par Steinberg Inc. de sa filiale Ivanhoé Inc., il fera son entrée au cabinet Godin, Raymond Harris Thomas, où il restera jusqu’à sa fermeture en 1998. Avec quelques collègues, il se joindra alors au cabinet Martineau Walker qui fusionnera en 2001 pour devenir Fasken Martineau DuMoulin. Me Paquin y pratique encore aujourd’hui.
Une expertise acquise « de l’intérieur »
Expert du domaine du commerce de détail, Me Paquin touche à toutes les questions relatives à la gestion et à l’exploitation de propriétés commerciales. « J’aime le domaine commercial où on touche à tout, souligne-t-il. On voit aussi le résultat tangible de notre travail : un nouvel édifice, un nouveau commerce. J’ai approfondi ma connaissance du domaine de l’intérieur, c’est-à-dire en travaillant du côté du client. C’est un avantage pour la pratique de connaître la manière dont les gens pensent et les enjeux auxquels ils font face. » Il a collaboré à de nombreux projets importants à Montréal tels que le développement et la vente du Marché central, l’acquisition de l’édifice Eaton et, plus récemment, l’installation de Desjardins dans un nouvel édifice sur le boulevard de Maisonneuve à Montréal et dans la Tour de Montréal dans le Parc olympique.
Au cours de ses près de 40 ans de carrière juridique, il a pu constater l’évolution de la pratique. « Aujourd’hui, tout va plus vite, les décisions doivent se prendre plus rapidement », observe-t-il. Cette accélération amène parfois les juristes à « agir plus par réflexes que sur la base d’une réflexion approfondie » déplore-t-il. Me Paquin soutient également que la société s’est complexifiée, qu’il y a un plus grand nombre d’enjeux et d’intervenants, plus de réglementations, d’ordonnances et de jugements, ce qui demande plus d’efforts aux juristes pour rester au fait des plus récents développements.
Pour se tenir à jour Me Paquin a trouvé l’exercice parfait : il donne depuis plus de 15 ans la revue de la jurisprudence organisée par la section de droit Immobilier de l’ABC-Québec. Celle du 17 février 2016 était sa dernière. « Beaucoup de collègues n’ont pas ou ne prennent pas le temps de lire la jurisprudence, explique-t-il. Donner une conférence me force à faire mes devoirs. Je présente peut-être une douzaine de décisions lors de ces conférences, mais je dois en lire beaucoup plus. »
Bien qu’il apprécie la visibilité que l’animation de conférences lui apporte et la mise à niveau que cela lui impose, il affirme avoir d’abord des motivations altruistes; c’est sans doute le réflexe de l’ancien professeur. « Certains diront que l’on informe ainsi nos compétiteurs. C’est vrai, en partie, mais qu’importe, si j’aide des collègues à se mettre à jour, nous ferons tout simplement de meilleures transactions par la suite », indique-t-il. « C’est un exercice que je me suis imposé afin de devenir meilleur », explique l’avocat.
Selon Me Paquin, l’une des décisions les plus marquantes des dernières années dans son domaine de pratique est Indigo Books & Music Inc. C. Immeubles Régime XV inc. dans un procès opposant les propriétaires de la librairie à ceux du Quartier DIX30. « Cette décision a des répercussions quotidiennes pour tous ceux qui rédigent des baux commerciaux dans le secteur du commerce de détail », affirme Me Paquin.
La librairie Indigo avait une clause d’exclusivité dans son bail visant à empêcher l’installation d’un concurrent spécialisé dans la vente de livres. Le promoteur de son côté souhaitait qu’un magasin Archambault s’installe dans son complexe commercial. La vente de livres ne serait pas l’usage principal de l’éventuel magasin Archambault. Indigo a convaincu la Cour supérieure et la Cour d’appel que son exclusivité visant la vente de livres comme usage principal ne permettait pas au promoteur de louer un local à Archambault.
« Certains éléments de cette décision m’ont surpris », indique Me Paquin. Il explique que, bien qu’il était clair, dès le début des négociations, que Indigo ne voulait pas d’un magasin Archambault dans le secteur, il arrive, lors d’une négociation, que ce sur quoi on s’entend diffère parfois de l’objectif de départ. « La rédaction ne reflétait pas l’intention initiale des parties, mais avec respect, les tribunaux ont parfois tendance à s’en tenir à cette intention initiale des parties alors que celle-ci peut évoluer au fil des négociations et des concessions qui se font de part et d’autre avant la signature d’un document définitif », souligne-t-il.
Me Paquin s’implique également avec l’organisme La Tablée des Chefs dont il est président du Conseil d’administration. L’organisme a pour mission de « nourrir les personnes dans le besoin via la récupération alimentaire et de donner une formation culinaire de base aux adolescents défavorisés ». « On m’a recommandé de m’y impliquer, peut-être parce que je parle souvent de bouffe, explique-t-il. C’est une superbe cause et ça a cliqué dès la première rencontre. »
L’amour du métier
Que compte-t-il faire au cours des prochaines années? Me Paquin n’a pas encore de plan précis. « Je souhaite continuer à travailler encore un certain temps et m’impliquer dans certaines causes qui me tiennent à cœur », indique-t-il. « On fait un métier qui peut être formidable, stimulant intellectuellement et dans lequel on peut faire une différence, affirme l’avocat. Ça nous garde jeunes. » Selon lui, malgré des commentaires de personnes et de médias parfois négatifs à l’égard de la profession, ses collègues travaillent fort, se respectent et jouent un rôle utile et même nécessaire dans l’activité économique de leur communauté. La très grande majorité comprend que les clients souhaitent arriver à une entente et éviter les conflits. « La vie est trop courte pour se chicaner tout le temps », conclut-il.
Liens utiles
Formation en ligne La revue annuelle de jurisprudence en droit immobilier (2015)
L’organisme La Tablée des Chefs