Que nous réserve le nouveau projet de loi C-92 ?

  • 02 avril 2019
  • Me Anne Fournier, membre de l’ABC-Québec. Pour le bénéfice du Comité exécutif de la section de droit de l’Enfant et de la jeunesse

Le 28 février 2019 était déposé à la Chambre des communes du Canada le Projet de loi C-92, soit la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Cette loi réaffirme, d’une part, le droit à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale des Autochtones et, d’autre part, que ce dernier droit comprend la « compétence en matière de services à l’enfance et à la famille ». Le gouvernement fédéral affirme donc la croyance en la capacité des Autochtones à prendre soin de leurs enfants, ce que les autorités autochtones réclamaient depuis fort longtemps. De plus, cette compétence concerne tous les enfants autochtones, qu’ils résident, ou non, sur le territoire d’une réserve.

L’un des objectifs de ce projet de loi est « de mettre fin à la surreprésentation des enfants autochtones dans les systèmes de services à l’enfance et à la famille » des provinces et territoires. Or, de nombreuses recherches et rapports ont démontré que l’application intégrale des critères de la société occidentale aux situations d’enfants et de familles autochtones est l’une des causes de cette surreprésentation. La loi a donc expressément prévu qu’un enfant autochtone ne doit pas être pris en charge « seulement en raison de sa condition socio-économique », notamment en raison du manque de logement ou d’infrastructures convenables. Ces recherches et rapports ayant également révélé qu’un nombre important d’enfants autochtones ont été confiés à des milieux de vie substituts allochtones, entraînant du même coup la perte de leur identité autochtone, la loi prévoit que le placement de l’enfant devra se faire auprès des personnes suivantes, énumérées par ordre de priorité :

  • La mère ou le père de l’enfant;
  • Un adulte membre de sa famille;
  • Un adulte appartenant à la collectivité ou au peuple autochtone dont l’enfant fait partie;
  • Un adulte appartenant à une autre collectivité ou peuple autochtone;
  • Tout autre adulte.

La loi a également pour objectif d’énoncer des principes et des normes minimales applicables à la dispensation des services aux enfants et aux familles autochtones, et ce, à l’échelle nationale. Ces normes minimales n’empêchent pas l’application des dispositions des lois provinciales dans la mesure où celles-ci ne sont pas incompatibles avec la loi fédérale. Bien que la création de normes minimales à appliquer à la situation des enfants autochtones puisse être une bonne chose, il n’empêche que, compte tenu de l’application concomitante des lois provinciales et de la loi fédérale, cela aura inévitablement comme conséquence de faire naître des litiges sur la question de l’incompatibilité, ou non, des normes.

Parmi les principes énoncés à la loi se retrouve celui voulant que « la continuité culturelle [soit] essentielle au bien-être des enfants » et que la transmission de la langue, de la culture, des pratiques et traditions « fait partie intégrante de la continuité culturelle ». Aussi, les facteurs dont il doit être tenu compte pour évaluer l’intérêt de l’enfant autochtone comprennent l’importance de tenir compte du patrimoine culturel et linguistique de l’enfant, de la nature et de la solidité de ses rapports avec ses parents, ses différents fournisseurs de soins et tout membre de sa famille ayant un rôle important dans sa vie.

La loi donne aussi la possibilité aux dirigeants autochtones d’exercer leur compétence législative en matière de services à l’enfance et à la famille. Bien que cela soit de nature à laisser une grande autonomie aux groupes et collectivités autochtones, il demeure que cette autonomie est tributaire de la capacité du ministre chargé de l’application de la loi, du gouvernement de la province et du corps dirigeant autochtone à conclure un accord de coordination. Le texte législatif ainsi produit aura force de loi, à titre de loi fédérale, pendant la période au cours de laquelle ce texte est en vigueur. Si aucun accord n’est conclu dans l’année qui suit la date de présentation de la demande du corps dirigeant autochtone, le mécanisme de résolution des différends peut alors être utilisé afin de favoriser la conclusion d’un accord.

La compétence législative reconnue aux corps dirigeants autochtones est, en soi, fort intéressante. Mais considérant qu’elle demeure subordonnée à la volonté et à la capacité de la province et du ministre responsable de l’application de la loi de parvenir à un accord, il y a tout lieu de s’interroger sur l’importance réelle de cette reconnaissance. Il est utile de mentionner que plus de quinze (15) années furent nécessaires pour que le Conseil de la nation atikamekw et le gouvernement du Québec parviennent à signer une entente en vertu de l’article 37.5 de la Loi sur la protection de la jeunesse. Cette entente permet d’appliquer un régime particulier de protection de la jeunesse aux enfants des communautés de Manawan et de Wemotaci, lequel régime doit respecter les principes généraux et les droits des enfants prévus à la loi. Tenant compte de cette expérience, il demeure difficile de croire qu’une entente tripartite puisse réellement être conclue à l’intérieur d’une seule année. Quoiqu’il en soit, la loi demeure une initiative heureuse qui a le mérite de proposer des solutions novatrices respectueuses de l’autonomie des Autochtones. Reste à voir dans quelle mesure elle parviendra à réduire le nombre d’Autochtones pris en charge par les services à l’enfance et à la famille des provinces et à préserver l’identité autochtone des enfants qui doivent être placés dans des milieux de vie substituts.

RÉFÉRENCE :

Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, C-92, 42e légis. (Can), 1e sess,, en ligne : < http://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/42-1/projet-loi/C-92/premiere-lecture >, site consulté le 1er avril 2019