Le 15 février dernier s’est tenue la conférence de la section de droit Actions collectives de l’ABC-Québec, portant sur l’utilité du processus d’autorisation des actions collectives suivant l’obiter de la juge Marie-France Bich dans l’arrêt Charles c. Boiron Canada inc.[1] Pour l’occasion, plus de 70 convives se sont déplacés au Musée des beaux-arts de Montréal afin d’entendre les conférenciers invités, l’honorable Pierre J. Dalphond, l’honorable André Rochon, Me Jacques Larochelle et Me Sylvie Rodrigue, discuter de l’avenir de ce processus.
Charles c. Boiron Canada inc.
C’est l’honorable André Rochon qui a débuté la soirée en résumant l’arrêt précité. Dans cette affaire, le juge de première instance a rejeté une demande d’autorisation pour exercer une action collective contre le fabricant d’un remède homéopathique. Au soutien du rejet de cette action, la Cour supérieure est d’avis que les faits allégués ne justifiaient pas les conclusions recherchées par la demanderesse et que celle-ci n’avait pas les qualités requises pour agir à titre de représentante du groupe proposé. En appel, la Cour a infirmé la décision de première instance et autorisé la demande d’action collective. Selon le juge Lévesque, le premier juge a commis une erreur révisable en ce qu’il a outrepassé les limites du cadre qu’il devait évaluer en effectuant une analyse qui relève du fond du litige. La Cour est également d’avis que l'appelante satisfait aux exigences minimales pour représenter adéquatement les membres du groupe.
Dans un obiter, la juge Bich utilise la tribune à laquelle elle a accès pour lancer un message au législateur quant à l’utilité du processus d’autorisation. D’avis que le processus d’autorisation engendre une « insatisfaction généralisée » dans le système judiciaire québécois, elle s’enquiert de l’utilité de l’autorisation comme préalable à l'action collective autrement que pour régler certaines questions plus techniques, comme la description du groupe, la définition précise des questions en jeu ou les modalités de la publicité aux membres. Elle déplore les ressources judiciaires importantes et coûteuses requises par le processus d’autorisation ainsi que les délais qu’elle qualifie d’« érosifs » ajoutant que le droit d’appel a récemment été élargi pour « d’insaisissables raisons ». Selon elle, ces ressources et délais contreviennent à l’objectif premier de l’action collective qui est de faciliter l’accès à la justice. En conclusion, la juge Bich s’étonne que cette question n’est pas été traitée lors de la dernière réforme du Code de procédure civile, mentionnant que le statu quo ne devrait pas être une option. Parmi les options envisagées, elle évoque le rehaussement des critères d’autorisation ou simplement l’abolition du processus.
L’autorisation de l’action collective en Australie
Pour enrichir le débat, l’honorable Pierre J. Dalphond a présenté le système juridique australien qui n'exige pas l'autorisation préalable du tribunal pour exercer une action collective. Le recours doit cependant respecter certaines conditions : (i) une demande commune faite par sept personnes ou plus envers le même défendeur; (ii) la demande doit naître de faits ou de circonstances similaires ou apparentées; (iii) il doit y avoir une réelle question commune de droit ou de fait. La conformité de la demande à ces critères peut être soulevée à tout moment de l’instance.
Sans surprise, cette façon de faire génère tout de même des insatisfactions. En effet, l’absence de mécanisme d’autorisation ne signifie pas que les demandeurs n’auront pas à défendre la conformité du recours aux critères d’admissibilité, conformité qui pourra être remise en question par les défendeurs, et ce, à tout moment de l’instance. Au final, il n’est pas rare de voir les parties se mener de multiples batailles interlocutoires (interlocutory warfare) engendrant ainsi des coûts et délais judiciaires importants. Ces insatisfactions ont d’ailleurs mené certains représentants du barreau australien à revendiquer l’adoption d’un processus d’autorisation. En conclusion, Me Dalphond constate qu’il n’existe pas de solution miracle.
Un débat entre la thèse de l’abolition et celle préconisant un rehaussement des critères
Pour conclure cette conférence, Me Jacques Larochelle et Me Sylvie Rodrigue ont accepté de se prêter à une joute oratoire pour débattre des deux avenues de refonte envisagées par la juge Bich.
Me Larochelle a défendu la thèse voulant que le processus d’autorisation soit aboli. Il suggère de remplacer cette étape par une conférence de gestion obligatoire qui pourrait être tenue dans les 60 jours de l’introduction du recours. Lors de cette conférence de gestion, le défendeur aurait l’occasion de soulever les questions « techniques » telles que l’absence de question commune ou l’inexistence du groupe. Quant au caractère adéquat du représentant, Me Larochelle est d’avis que cette appréciation devrait être laissée au tribunal, soulignant que le défendeur est en conflit d’intérêts à cet égard. Enfin, Me Larochelle rappelle que le défendeur aurait toujours le loisir d’invoquer durant l’instance les moyens d’irrecevabilités et d’abus prévus au Code de procédure civile.
Me Rodrigue, quant à elle, a défendu la thèse préconisant un rehaussement des critères de l’autorisation. Elle dénonce les effets négatifs d’une autorisation jugée trop permissive et déplore qu’il soit maintenant pratique pour certains avocats en demande de déposer une multitude d’actions collectives sans se pencher sérieusement sur les chances de succès des recours entrepris. Elle anticipe une augmentation importante du nombre d’actions collectives plaidées au fond, amplifiant par le fait même l’engorgement des tribunaux. Elle s’inquiète des conséquences à long terme des actions collectives où la/les questions communes autorisées ne sont pas déterminantes pour la solution du litige, engendrant ainsi une multitude de mini-procès à l’étape du règlement individuel des réclamations des membres.
Quelques mots sur les conférenciers
Honorable Pierre J. Dalphond : L’honorable Pierre J. Dalphond a siégé à la Cour d’appel du Québec de 2002 à 2014, après un passage à la Cour supérieure du Québec. Depuis, il agit à titre d’avocat-conseil auprès du cabinet Stikeman Elliott, notamment dans les domaines du droit civil et commercial. Diplômé de l'Université de Montréal et de l'Université d'Oxford, il a été admis au Barreau du Québec en 1979.
Honorable André Rochon : L'honorable André Rochon a siégé à la Cour d’appel du Québec de 2002 à 2014, après un passage à la Cour supérieure du Québec. Depuis, il agit à titre d’avocat-conseil au sein du cabinet Prévost Fortin D’Aoust, où il offre des services de médiation et d’arbitrage. Diplômé de l’Université de Montréal et de l’Université d’Ottawa, il a été admis au Barreau du Québec en 1974.
Me Jacques Larochelle : Spécialisé en droit criminel, Me Larochelle a également su, au fil des années, développer une expertise importante en matière d’action collective. Il était notamment responsable de l’affaire Ciment St-Laurent, plaidée avec succès devant la Cour suprême en 2008. Me Larochelle a obtenu la médaille du Barreau du Québec en 2006.
Me Sylvie Rodrigue, Ad. E. : Me Rodrigue possède une vaste expérience en matière de litige commercial, notamment en défense des actions collectives au Canada. Elle est à la tête des bureaux montréalais du cabinet Torys, et pratique à la fois au Québec et en Ontario. Elle est, notamment, présidente du Groupe de travail national sur les recours collectifs de l’Association du Barreau canadien.