Le mariage emporte son lot de droits et obligations, mais également des privilèges. Saviez-vous que la Loi sur la preuve au Canada accorde un privilège aux époux/ épouses ?
Plus spécifiquement, l'article 4(3) de cette Loi permet à l'époux de ne pas être contraint à témoigner pour le poursuivant, sur les communications produites pendant le mariage afin de protéger l’harmonie matrimoniale au sein du couple marié. Par ailleurs, aucun magistrat ne peut inférer par le silence et l'absence de témoignage, quelconque admission à l'égard des accusations reprochées. Plus précisément, le mariage n'est pas synonyme d'un refus de témoigner, mais il empêche plutôt l'époux de témoigner; le choix des termes est important1.
Rappelons que le droit de garder le silence est un principe de justice fondamentale enchâssé dans notre Charte canadienne tout comme la présomption d'innocence, et ce, à toute étape judiciaire du dossier (à moins d’une condamnation, bien évidemment).
Le présent privilège appartient uniquement à l'époux en sa capacité de témoin2. À titre d'exemple, dans la décision R c. Kotapski, le juge indique « qu'un document écrit par l'accusé à son avocat, mais trouvé en possession de l'épouse lors d'une perquisition par la police, est admissible en preuve contre l'accusé. Aucun privilège s'y rattache ».
Qui plus est, le privilège se perd lorsque les propos entre époux sont tenus en présence d'une tierce personne, et ce, même si le tiers est l'enfant commun du couple marié. Pourquoi ? Parce que le tiers est contraignable par le poursuivant3.
Comme toute règle de droit, il y a des exceptions. Le présent privilège n'est pas absolu; des exceptions ont été développées par la common law, notamment celle où il y a une menace contre la vie, la sécurité et le bien-être du conjoint marié. Dans la décision R.v.Schell4, l’accusé a été condamné de meurtre au premier degré. La théorie de la Couronne était qu’il aurait tué par erreur le frère de la cible visée. La preuve dans la présente affaire provenait de différents témoins; l’épouse de l’accusé était un des témoins. Le couple était séparé depuis quatre ans, mais légalement marié au moment du procès. La réconciliation du couple n’était pas possible. Gardons à l’esprit que le privilège relatif aux conjoints a comme objectif de protéger l’harmonie conjugale, d’où l’inhabileté du conjoint d’un accusé à témoigner. Le juge de première instance a admis le témoignage de l’épouse de l’accusé condamné. Le juge du procès a indiqué qu’en l’espèce, l’épouse de l’accusé était habile à témoigner et contraignable considérant l’absence de réconciliation au sein du couple et considérant que la preuve démontrait que la vie, la sécurité et le bien-être du conjoint de l’accusé étaient menacés « par les circonstances entourant l’infraction et ce, sans égard au fait que le conjoint était censé être ou non la victime du crime5». Au sein de cette décision, l’épouse avait reçu des menaces à son endroit ainsi qu’à l’égard de ses enfants quant à leur sécurité, si elle témoignait.
Enfin, la décision R.c.Marchand6 nous indique que le privilège devient inexistant une fois le divorce prononcé; l’harmonie conjugale n’a plus à être protégée. Ainsi, le témoignage de l’ex-épouse est désormais admissible contre son ex-époux (et vice-versa) et ce, même pour les infractions ayant eu lieu lors du mariage.
En conclusion, l’article 4(3) de la Loi sur la preuve au Canada accorde un privilège aux mariés, les empêchant de témoigner l’un contre l’autre lors d’un procès, mais celui-ci revêt d’exceptions, notamment lorsque la vie et la sécurité sont en jeu.
1 R c.Hawkins, [1996] 3 RCS 1043
2 R c. Kotapski, [1981] 66 C.C.C.(2d) 78 (C.S.)
3 R c. Lortie, [1992] R.J.Q.516 (C.Q.)
4 R v. Schelle, [2004] ABCA 143
5 Code criminel et lois connexes annotés 2024, art 4(3) Loi sur la preuve au Canada, page 2024
6 R c.Marchand, [1980] 55 C.C.C (2d)
*À noter que le présent article ne constitue pas un avis juridique*