La rétractation ou l’appel ? Choisir le bon véhicule procédural devant le tribunal administratif du logement

  • 21 mai 2024
  • Me Jade El-Khoury, avocate

À la suite d’une première décision rendue par un juge du tribunal administratif du logement (ci-après le « TAL ») vous n’avez pas de représentants légaux et souhaitez comprendre quelles sont les prochaines étapes, le cas échéant ? Vous croyez qu’il y a eu une mauvaise application des règles de preuve? Ou encore, vous pensez qu’il y a eu une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation des faits ou une erreur de droit? Que vous soyez locateur ou locataire, évitez d’instituer une demande en rétractation de jugement pour ces raisons; il ne s’agit pas du bon véhicule procédural.


Malheureusement, nombreuses sont les parties qui utiliseront la demande en rétractation en vertu de l’article 89 de la Loi sur le tribunal administratif du logement (ci-après la « LTAL ») alors que c’est une demande d’appel qui aurait dû être instituée. En effet, l’article 89 de cette loi indique :


Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.


Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.


La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.


La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.


Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse.


Dans le cadre d’une rétractation, le Tribunal n’examine pas les erreurs de faits ou de droit commises, le cas échéant. Le Tribunal se penchera plutôt sur le libellé de l’article 89 et cherchera à savoir si la partie qui demande la rétractation a démontré par prépondérance de preuve, qu’elle rencontre un des motifs que prévoit la disposition légale1.

La rétractation est une mesure exceptionnelle considérant le principe de l’irrévocabilité des jugements. Dans la décision Entreprises Roger Pilon Inc et al.c.Atlantis Real Estate Co., la Cour d’appel du Québec rappelle que :


« le principe de l’irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d’où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeure l’exception et ne pas devenir la règle2. »


Par ailleurs, le juge saisi de la rétractation ne peut intervenir sur les décisions qu’aura prises un de ses collègues tant sur la gestion du dossier que sur l’administration de la preuve. En effet, si des erreurs ont été commises, la partie demanderesse devra s’adresser à la Cour du Québec, soit le tribunal compétent en matière d’appel et non au TAL3. Autrement dit, la demande de rétractation est différente de la demande d’appel en ce sens qu’elle ne peut être utilisée afin que le Tribunal se penche sur les motifs ou le bien-fondé de la décision rendue par le premier juge administratif. Enfin, elle ne peut servir d’un motif d’appel déguisé.


Qui plus est, l’appel d’une décision du TAL n’est pas de facto. Une demande auprès de la Cour du Québec doit être effectuée à cet effet. En d’autres termes, il faut rédiger une demander à la Cour du Québec pour permission d’appeler. En vertu de l’article 91 de la LTAL ce sont les décisions du TAL où « la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec 4» qui peuvent faire l’objet d’un appel. Plus précisément, l’honorable Enrico Forlin, juge à la Cour du Québec indique que: « […] la permission d’appeler requiert la démonstration que l’appel soulève une question sérieuse qui dépasse le seul intérêt des parties, ou une question nouvelle, controversée ou d’intérêt général 5».


À noter que certaines décisions sur lesquelles ont statué les juges du TAL ne peuvent être portées en appel. C’est notamment le cas des décisions qui portent sur la fixation de loyer ou sa révision.


En terminant, la demande en rétractation de jugement n’est pas le recours approprié pour qu’un autre juge procède à la réévaluation d’une décision rendue par un de ses collègues du tribunal administratif du logement.


*À noter que le présent article ne constitue pas un avis juridique*

 

Adam O’Callagan c. Salim Fattal [2003] J.L.265

Entreprises Roger Pilon c. Atlantis Real Estare Co.,[1980] C.A. 2 18

Sissoko c. Akelius Montréal Ltd. 2019 QCRDL 35719

Article 91 de la Loi sur le tribunal administratif du logement

5 Guergues Harby c. Russell sur le Parc inc. 2021 QCCQ 7089, parag.[21]