Dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes, Me Trang Dai Nguyen, présidente de la section de droit criminel de la Division, s’est entretenue avec Me Lauren Shadley, du cabinet Shadley Bien-Aimé, sur son expérience et ses obstacles en tant que criminaliste dans le Nord québécois.
Quelle a été ta motivation pour quitter MTL et travailler au Nunavut?
Il y avait plusieurs raisons soutenant ma décision de commencer à travailler pour le Legal Services Board of Nunavut. J’étais fascinée par l’Arctique et sa beauté naturelle, mais, par-dessus tout, je voulais travailler avec les personnes inuites, sur leur territoire. Ayant une passion pour les services publics, appliquer au Legal Services Board of Nunavut semblait être une opportunité incroyable pour poursuivre ma pratique en droit criminel dans une autre juridiction.
Comme avocate criminaliste en défense, l’intersection du droit criminel et de son effet sur les populations de groupes marginalisés ne m’est pas inconnu. Particulièrement, au Canada, la sur-incarcération et la sur-criminalisation des personnes autochtones sont un enjeu systémique à grande échelle. Lorsqu’une opportunité de travailler pour le Legal Services Board of Nunavut s’est présentée, je me suis sentie interpellée.
Quels types de dossiers criminels gères-tu au Nord?
Ma charge de dossiers principale inclut les infractions du Code criminel, la majorité étant des dossiers de violence conjugale et d’agression sexuelle. Cependant, j’ai représenté des clients pour une panoplie d’infractions, allant de méfaits au meurtre de premier degré. De plus, je représente des clients qui sont poursuivis sous la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ainsi que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Quel type de défis rencontres-tu au Nord? Comment as-tu adapté? Quelles leçons tires-tu de ces défis?
Il y avait plusieurs défis, ou plutôt, des opportunités d’apprentissage qui sont survenues lorsque j’ai déménagé au Nunavut. Arrivant du Sud, j’ai eu à rapidement m’adapter au climat arctique et son imprévisibilité, ainsi que de naviguer entre les communautés pour des dossiers de cour dans de petits avions. Cependant, ça n’a pas pris longtemps avant que ces « défis » deviennent partis du charme de vivre et travailler au Nord. De plus, comme personne non-autochtone, j’ai toutes les opportunités possibles pour apprendre sur la culture et la langue inuite.
Une des leçons de vie les plus difficiles que j’ai apprises en vivant au Nunavut était d’accepter que, en dépit de mes meilleurs efforts, plusieurs choses étaient hors de mon contrôle dues au manque de ressources dans le Nord. Par exemple, à la Cour, j’ai plaidé que mes clients étaient déterminés à ne pas consommer d’alcool ou de substances, mais je ne pouvais diriger ces clients vers des programmes contrant la consommation, car il n’y en a pas sur le territoire. Dans des dossiers domestiques, j’ai expliqué comment l’encombrement menait à des tensions dans le ménage, mais le problème à grande échelle de la pénurie de logements subsiste, laissant plusieurs de mes clients sans solutions pratiques devant un facteur important de leur interaction avec le système de justice criminelle. De façon similaire, j’expliquais aux tribunaux comment le trauma intergénérationnel affecte mes clients, en voyant un nombre limité de programmes aidant à soigner ce trauma. D’observer les barrières systémiques, le manque de ressources et le trauma intergénérationnel, tout en ayant peu de contrôle sur les remèdes ou solutions possibles a été l’un des défis les plus importants que j’ai rencontrés en vivant au Nord.
Qu’as-tu appris des membres de la communauté inuite, particulièrement des femmes inuites, pendant ton temps au Nunavut?
Pendant mon temps au Nord, j’ai appris l’importance de la communauté et du rôle des femmes et Aînés inuits au sein de ces communautés. Ils m’ont appris ce qu’est la réelle écoute active, l’écoute des autres, en totalité et sans jugement. Les femmes inuites m’ont appris ce qu’est réellement aimer et partager avec les autres, et la force qui provient de ce type de compassion. Dans un monde qui prône continuellement le soin de soi, j’ai appris la valeur du soin de la communauté.
Les femmes inuites sont les matriarcats de leurs familles et les piliers de leurs communautés. Elles détiennent un savoir inhérent, pas seulement sur le soin des communautés, mais sur la façon de bâtir des sociétés saines et durables. En dépit de multiples systèmes travaillant contre les femmes en général, en particulier contre les femmes autochtones, et avec ce que nous savons de plusieurs commissions, enquêtes publiques et rapports, elles continuent d’exhiber force et résilience. Il a été un honneur d’apprendre, et de continuer à apprendre, d’elles.
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What motivated you to leave MTL and work in Nunavut?
There were many motivations influencing my decision to begin working for the Legal Services Board of Nunavut. I was fascinated by the Arctic and its natural beauty, but above all, I was interested in working with Inuit, on their land. Adamant about public service, applying to the Legal Services Board of Nunavut seemed like an incredible opportunity to pursue criminal law in a different jurisdiction.
As a defence attorney, the intersectionality of criminal law and how it affects marginalized populations is not lost on me. Particularly, in Canada, the over-incarceration and over-criminalization of Indigenous populations is a large-scale systemic issue. When an opportunity arose to work for the Legal Services Board of Nunavut, I felt compelled to apply.
What type of criminal files do you manage in the North?
My primary caseload includes Criminal Code offenses, most of which are comprised of domestic violence and sexual assault files. However, I have represented clients for a variety of charges ranging from mischief to first degree murder. Additionally, I take on clients who have been charged under the Controlled Drug and Substances Act as well as the Youth Criminal Justice Act.
What kind of challenges do you face in the North? How have you adapted? What lessons have arisen from these challenges?
There were several challenges, or rather, learning opportunities that arose when I first moved to Nunavut. Coming from the South, I had to quickly adapt to the Arctic climate and its unpredictability as well as to navigating through communities for court files in small charter planes. However, it didn’t take long for those “challenges” to become part of the charm of living and working in the North. Moreover, as a non-indigenous person, I took as many opportunities as I could to learn about Inuit culture and language.
One of the most difficult life lessons that arose while experiencing life in Nunavut was learning to accept that, despite my best efforts, many things were out of my control because of the lack of resources in the North. For example, in court, I pleaded that clients were determined to avoid alcohol or substance consumption, but I could not direct my clients to particular substance abuse programs because there are none in the territory. In domestic files, I explained how overcrowding led to tension in the household, but a large-scale housing shortage continued to exist, leaving many of my clients with no practical solution to a major contributor to their involvement in the criminal justice system. Similarly, I would explain in court how intergenerational trauma affected my clients but saw limited programs to help heal that trauma. Witnessing the systemic barriers, lack of resources and impact of intergenerational trauma, but having little control over the remedies or possible solutions has been one of the most difficult challenges I have faced living in the North.
What did you learn from Inuit community members, in particular, Inuit women during your time in Nunavut?
During my time in the North, I learned the importance of community and the role of Inuit women and Elders within those communities. They taught me what it means to be a true active listener, listening to one another, wholly and without judgment. Inuit women taught me what it means to truly love and share with others, and how much strength comes from that kind of care. In a world that constantly advocates for self-care, I learned about the value of community care.
Inuit women are the matriarchs of their families and pillars in their communities. They hold inherent knowledge, not only about how to heal communities, but also about how to build healthy and sustainable societies. Despite multiple systems working against women in general, particularly Indigenous women, with what we have learned after several commissions, public inquiries and reports, they continue to exhibit strength and resilience. It has been an honor to learn – and continue to learn – from them.