« Ce matin, le gouvernement a pris la décision de fermer [...] toutes les écoles, cégeps [et] universités pendant une période de 2 semaines ». Ces quelques mots prononcés par le premier ministre du Québec lors de la conférence de presse du 13 mars 2020 annonçaient une trêve académique et nous rappelaient les tempêtes hivernales du temps de l'école primaire. Or, sans le savoir, ces mots allaient finalement marquer la fin de notre parcours universitaire en présentiel. Bien que les apprentissages, dès lors, furent dispensés de manière virtuelle, il est clair que ce que nous appelions autrefois « école » était pour nous transformer à tout jamais. Nombreuses sont les critiques de cette pédagogie numérique, mais, un an plus tard, est-il possible de voir un aspect positif du développement de ces nouvelles habiletés zoomales? Est-ce que la maîtrise du travail en Teams fera de nous des praticiens plus chevronnés? Telles sont quelques-unes des interrogations qui surgissent dans nos esprits de finissantes et finissants.
Si de nombreux milieux professionnels ont été bouleversés, il est sans équivoque que le milieu juridique n’est pas en reste. La pandémie a transformé les habitudes dans les palais de justice et les cabinets, en plus d’accélérer un virage technologique que plusieurs espéraient. Notre amour pour les fruits du bouleau – autrement dit le papier – et pour les traditionnelles salles de cours (ou de Cour !) a fortement été bousculé par la pandémie. Ces changements marqueront les prochaines années, car si tout va bon train, le gouvernement du Québec prévoit faire passer la justice au goût du jour en 2023 : pratiques innovantes, justice à l’heure des nouvelles technologies et plus grande synergie entre les acteurs du milieu sont au cœur de cette modernisation[1]. Non seulement notre carrière entière tiendra compte de ce nouveau paradigme, mais notre entrée dans le monde juridique en sera aussi grandement marquée.
Pour mieux comprendre ces changements sur notre future profession, une conférence – virtuelle évidemment – intitulée « L’intervention de l’avocat à l’ère numérique » a eu lieu le 5 février dernier. Organisée par la section étudiante de l’Association du Barreau canadien - Division du Québec en collaboration avec la Faculté de droit de l’Université Laval, l’événement accueillait l’honorable Clément Samson j.c.s, Me Elif Oral, Me Samuel Massicotte et Me Jean-François De Rico qui ont tour à tour exposé à une quarantaine d’étudiantes et étudiants à quoi ressemblera la pratique de demain dans le milieu juridique.
Tout d’abord, la manière de plaider reste sensiblement la même, mais l’environnement dans lequel on plaide diffère d’autrefois. En effet, les avocats doivent se préparer à une audience Teams de la même manière qu’à un procès en présentiel. À cela s’ajoutent de nombreuses vérifications préalables : tests de caméra et de microphone, environnement calme et non bruyant et décor d’arrière-plan adéquat. Si la technologie est efficace et fiable, il faut néanmoins prévoir les aléas qui peuvent survenir et s'assurer d’avoir un « plan B » en cas de problèmes techniques. Bref, une audience virtuelle requiert davantage de rigueur dans la préparation préalable afin de s’assurer du bon déroulement de l’audience.
Sur le plan des relations avocat-client, l’ère numérique facilite beaucoup la communication que les professionnels peuvent entretenir avec leurs clients. Établir clairement les bases de la relation conserve toute son importance. Il importe de préparer le client au déroulement de l’audience virtuelle et de prévoir les moyens d’interaction avec celui-ci. Recevoir des post-its ou des textos en continu peut être déconcentrant pour l’avocate ou l’avocat qui tente de suivre le déroulement de l’instance. L’avènement de la technologie vient aussi amenuiser les difficultés liées à la distance géographique. Les premiers contacts avocat-client peuvent être facilités si ce dernier se situe dans une région éloignée. Il en est de même pour les interrogatoires une fois l’instance entamée; nul besoin de faire déplacer pour seulement une vingtaine de minutes un témoin secondaire que l’on veut entendre et qui est situé à plusieurs centaines de kilomètres du palais de justice. Une économie de temps et d’argent ainsi qu’un gain important d'efficacité sont alors observés. Ainsi, la justice numérique va de pair avec un système de justice plus « accommodant ».
Quant à l’organisation des dossiers, la technologie offre une multitude d’outils permettant de faciliter la gestion de l’instance et le partage de documents, pensons notamment au classeur PDF. Attention toutefois à bien les utiliser, et ce, dès le début d’un dossier. Cet aspect rejoint également la question de la collaboration supplémentaire entre les avocats des parties adverses qui doivent s’entendre sur les paramètres de numérisation et de classement de l’information ainsi que sur les modalités d’échanges de documents. Tout cela afin d’assurer un déroulement diligent de l’affaire. Justice numérique et procès sans papier peuvent donc rimer avec efficacité, mais à la condition d’avoir les outils adaptés et utilisés correctement.
La sécurité et la protection des données sont un aspect très important que les praticiens du droit doivent également considérer. La justice technologique n’est pas épargnée par les menaces à la confidentialité et à l’intégrité. Que ce soit de l'hameçonnage, des logiciels malveillants ou des menaces internes, la cybercriminalité ne connaît pas de répit. D’une part, il faut s’assurer de protéger l’information détenue via un support lui procurant stabilité et pérennité. D’autre part, pour éviter tout problème de preuve, il faut continuer de s’assurer de l’intégrité du document, c’est-à-dire que l’information contenue ne soit pas altérée et qu’elle soit maintenue dans son intégralité. Si le niveau de diligence en la matière n’est pas encore défini très clairement, le Code de déontologie des avocats prévoit depuis peu que tout membre du Barreau du Québec doit tenir ses connaissances à jour spécifiquement quant aux technologies de l’information utilisées dans sa pratique[2]. Mieux vaut donc être plus prudent que moins et prendre moult précautions pour éviter tout accident numérique.
Malgré une transformation de notre système de justice, certaines valeurs et caractéristiques du professionnel en droit demeurent essentielles. La prévoyance et la proactivité sont toujours de mise et la collaboration doit figurer au centre de notre pratique à l’ère numérique. Ainsi, même dans le confort de notre foyer, rigueur et professionnalisme exemplaire doivent demeurer les valeurs du professionnel du droit.
Bien que nous ne foulerons pas le tapis d’une salle bondée comme les autres cohortes lors de la collation des grades, la dernière année d’enseignement, reçue en mode virtuel, nous aura certainement préparés à embrasser la profession, et surtout, à la modeler de manière à la rendre plus efficace et au service du justiciable.
[1] Québec, Ministère de la Justice, Transformation de la justice, 2017 [En ligne], https://www.justice.gouv.qc.ca/ 1 ministere/dossiers/transformation/.
[2] Gouvernement du Québec, Décret 1102-2020, 21 octobre 2020.